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Au Sahel, un convoi de l’armée française face à la colère populaire

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Des soldats de l’armée burkinabée patrouillent près d’un véhicule blindé français stationné à Kaya, le 20 novembre 2021. OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Ils sont arrivés dimanche 28 novembre à Gao, au Mali, certainement plus fatigués que d’ordinaire mais surtout plus instruits sur les difficultés de la France au Sahel et confus sur le sens de leur mission. En deux semaines d’un voyage qui les a vus traverser la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger et le Mali, la centaine de soldats de l’opération « Barkhane » chargés d’escorter un banal convoi de ravitaillement ont pu mesurer à quel point ils étaient tout à la fois étrangers dans cette région et parties prenantes à ses problèmes. Objets de fantasmes nourris par les réseaux sociaux, et de ressentiments profonds face à leur incapacité à enrayer une dégradation de la situation sécuritaire sur place.

A Téra, petite ville de l’ouest du Niger, samedi matin, les invectives, les cris « A bas la France ! », les barrages de pneus, de bois, de morceaux de béton qui depuis plusieurs jours jalonnaient leur périple ont tourné à l’incident tragique. Après des jets de pierres qui ont blessé deux chauffeurs civils du convoi, des manifestants, parmi le millier dénombré, ont tenté de monter sur des camions et d’en incendier certains, selon le récit de l’état-major des armées. « Des tirs au sol » ont alors été effectués, reconnaît tout au plus l’armée française qui n’endosse jusqu’ici la responsabilité d’aucun mort ni blessé.

Enquête

Le ministre nigérien de l’intérieur, Alkache Alhada, avait le jour de l’événement fait savoir qu’une enquête avait été ouverte puisque, « dans sa tentative de se dégager, elle [sans indiquer s’il s’agissait de la force « Barkhane » ou de l’escorte de gendarmes locaux] a fait usage de la force, malheureusement on déplore la mort de deux personnes et dix-huit blessés, dont onze graves ». Un troisième homme a depuis succombé à ses blessures, relatent plusieurs sources à Niamey, où le ministre a été remplacé lundi à l’issue d’un remaniement « prévu avant ces violences », assure un proche de Mohamed Bazoum, le chef de l’Etat et sûrement le meilleur avocat de Paris au Sahel.

Vendredi, alors que Téra préparait le blocage du convoi tout juste arrivé du Burkina Faso, le président nigérien avait dit sa reconnaissance aux soldats français et sa désolation de « la campagne qui est menée contre eux ». « De tous les pays qui sont engagés à nos côtés dans la lutte contre le terrorisme, la France est le pays qui consent le plus de sacrifices. Ce sont 53 jeunes Français qui sont morts au Mali », saluait-il, avant d’asséner cette prédiction aux allures de mise en cause pour les militaires de la région : « Moi, je suis sûr que le jour où les Français plieront bagage à Gao, ce sera le chaos ! Les gens de Gao le savent de toute façon. »

Seulement, « les populations ici n’adhèrent pas à cette ligne », corrige Idrissa Soumana, ancien premier adjoint au maire de Téra et désormais conseiller de cette région de Tillabéri, la plus affectée par les tueries successives qui frappent le Niger. Selon le décompte de plusieurs organisations, environ 600 Nigériens, essentiellement des civils, ont été tués lors d’attaques djihadistes depuis le début de l’année. « Quand ils ont eu écho par les réseaux sociaux des barrages à Kaya [au Burkina Faso], les enfants de Téra ont voulu les imiter car ils sont eux aussi convaincus que les Français ravitaillent les djihadistes », rapporte-t-il.

Crise de confiance avec la jeunesse

La vague de protestations au Niger est la fin d’une mèche allumée le 16 novembre au Burkina Faso, pays encore ébranlé deux jours plus tôt par le massacre de 57 personnes, dont 53 gendarmes, à Inata, attribué par des sources sécuritaires à Ansaroul Islam, un groupe proche du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans, la branche d’Al-Qaida au Sahel. A Bobo-Dioulasso, à Ouagadougou et surtout à Kaya, où au moins quatre manifestants ont été blessés par balles, sans qu’il soit là aussi possible de dire avec certitude si les tirs sont provenus d’armes françaises, les soldats de « Barkhane » ont pu constater la crise de confiance qui sépare Paris d’une partie de la jeunesse locale.

« Que la France livre des armes aux djihadistes ? Nous pensons que c’est possible », clame sans craindre les accusations de complotisme Roland Bayala, le porte-parole de la Coalition des patriotes africains du Burkina Faso. « Elle nous a trahis. Elle a une coopération avec notre armée qui s’est plainte du manque d’armes. La France a failli à son devoir et nous n’avons plus confiance dans sa coopération », martèle celui qui est l’un des fers de lance de cette mobilisation, prêt à ouvrir les portes « à tous ceux qui pourront garantir la paix » et qui revendique son « étroite collaboration » avec Yerewolo, un mouvement qui milite au Mali pour un départ de la France et une intervention militaire russe.

Si, à Ouagadougou, des opposants voient derrière ces protestations des manœuvres de diversion de certains cercles du pouvoir cherchant à instrumentaliser une vieille défiance à l’égard de la France pour se préserver de la colère populaire, nul doute que dans le contexte actuel, cette flamme antifrançaise réchauffe le cœur de Moscou. A Paris, l’état-major des armées tient, lui, à minimiser la portée de l’incident et dit étudier « différentes options pour les prochains convois. Pas d’inquiétude ».

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