En ce jeudi 25 novembre, au siège de la Gazeta Wyborcza, le mythique quotidien fondé par l’opposant au communisme et figure du syndicat Solidarnosc Adam Michnik, les bureaux sont quasi déserts pour cause de pandémie. Mais ce calme apparent masque mal la véritable ébullition dans laquelle se trouvent plongées les équipes du journal depuis des semaines. Nerveux, Adam Michnik enchaîne les cigarettes et les allers-retours entre son bureau et celui de son premier adjoint, Jaroslaw Kurski. « Je me sens comme le Général de Gaulle la veille de l’invasion, lâche-t-il. Je suis absolument furieux. »
Ce jour-là, sur une pleine page du journal, les deux hommes ont signé un réquisitoire cinglant contre le conseil d’administration d’Agora, l’entreprise propriétaire du titre. Ils exposent aux lecteurs la nature de ce qu’ils nomment « la plus grande crise de l’histoire de la Gazeta Wyborcza », une maison qui en a pourtant vu d’autres. Car si le journal, en première ligne de combat contre la majorité conservatrice de Jaroslaw Kaczynski, fait depuis six ans l’objet de violentes attaques politiques, c’est de l’intérieur que pourrait lui venir le coup le plus fatal.
En cause : la décision du conseil d’administration d’Agora, prise cinq mois plus tôt, sans aucune consultation avec la rédaction en chef ni son fondateur historique, de fusionner le titre avec un site d’information en ligne. « Le mélange nuisible de deux modèles économiques incompatibles » afin de « faire des économies et licencier des journalistes », dénoncent les deux rédacteurs en chef. Une optimisation des coûts et un plan social de plus, dans un journal et une entreprise qui font pourtant des profits.
Société du « tout profit »
« La Wyborcza restera-t-elle la maison de l’intelligentsia démocratique polonaise, où est-elle amenée à devenir un simple générateur de profit pour la société mère ? », s’interrogent les deux piliers de la rédaction, en accusant le conseil d’administration de vouloir vendre le contenu du journal au même titre que « du pop-corn ou du fast-food » dans ses autres secteurs d’activités. « Ce qui est en jeu, c’est l’identité même de la Gazeta Wyborcza telle que nous la connaissons depuis plus de trente ans, confie Jaroslaw Kurski. C’est pour nous une question d’être ou ne pas être. »
Car la Gazeta Wyborcza occupe une place très particulière dans le paysage médiatique polonais. Bien plus qu’une observatrice engagée, elle a été une actrice à part entière de la transition démocratique post-1989. Son histoire est intimement liée à celle de la troisième république polonaise, dont elle a contribué à façonner les contours, et dont son fondateur, Adam Michnik, reste un des symboles.
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