LETTRE DE GENÈVE
Le « Petit manuel suisse à usage des criminel·le·s en col blanc » de l’ONG Public Eye détaille les failles du pays en matière de corruption. PUBLIC EYE
Il n’y a pas une goutte de pétrole en Suisse, pourtant toutes les ventes de brut du secteur azéri de la mer Caspienne passent par le septième étage d’un bâtiment moderne au centre de Genève, où la Socar (State Oil Company of Azerbaijan) a installé il y a une dizaine d’années ses opérations de trading. L’or noir de Sibérie suit le même chemin, à travers d’autres compagnies de négoce bien implantées ; des dizaines de nouveaux acteurs sont arrivés en Suisse ces dernières années pour animer un secteur des matières premières en pleine expansion.
Genève est la principale plaque tournante helvétique, mais c’est désormais tout l’arc lémanique qui abrite des structures de trading, petites ou grandes, tandis que le canton alémanique de Zoug, un paradis fiscal, est le siège du sulfureux géant minier Glencore (charbon, cuivre, cobalt) ou encore des gazoducs russes Nord Stream 1 et 2. Depuis des années, les Cassandre de ce miracle économique préviennent : tôt ou tard, l’opacité des opérations causera du tort à la réputation de la Suisse.
De fait, quelques procès spectaculaires ont eu lieu récemment, comme celui de l’homme d’affaires franco-israélien Beny Steinmetz, condamné en janvier à Genève pour corruption dans une affaire de licences minières en Guinée. Mais, pour l’essentiel, les peines restent légères, les enquêtes rares et la curiosité des autorités peu aiguisée. C’est ainsi que l’ONG Public Eye, qui s’est spécialisée dans ces investigations complexes que le ministère public oublie d’instruire, vient de publier son « guide de la corruption en Suisse », pour « tirer le meilleur » du pays.
Le ton est ludique et sarcastique, l’objectif, précis : « Pointer du doigt les béances législatives de la Suisse en matière de lutte contre la corruption, par exemple le fait que les avocats conseillers ne soient pas soumis à la loi sur le blanchiment d’argent. Nous insistons aussi sur les sanctions ridicules auxquelles sont exposées les sociétés qui ne “prennent pas les mesures organisationnelles nécessaires” pour empêcher la corruption, comme dans le cas de Gunvor au Congo-Brazzaville », explique Géraldine Viret de Public Eye.
Indifférence de l’opinion publique
Depuis une décennie, l’ONG enquête au long cours grâce à trois journalistes d’investigation, deux pour les matières premières et la criminalité économique, un pour des secteurs comme le textile, l’industrie pharmaceutique ou l’agrochimie. Elle publie plusieurs fois par an le résultat de ses recherches, qui sont autant de révélations. Leur impact est malgré tout limité, même si elles peuvent déboucher sur des dénonciations pénales quand le faisceau d’éléments rassemblés est suffisant. Face à l’apathie générale, il fallait donc frapper un grand coup.
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