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Le gouvernement peut-il interdire Wish en France?

conférence à l’université Paris-Dauphine et ancien membre du Conseil national du numérique, souligne: “Les sanctions prévues dans le code du commerce ou de la consommation relèvent de la prison ou des amendes, mais pas de l’interdiction du site”.

Si une action pénale est bel et bien entamée depuis un an, ce n’est pas à ce niveau que se joue le déréférencement et l’interdiction, mais au niveau administratif. Pierre Bonis,  directeur général de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic), qui gère les noms de domaine en « .fr », est amené à collaborer avec la répression des fraudes. Il explique: “La DGCCRF a un caractère d’autorité administrative. Ils ont le droit de prendre des mesures, sans passer par un juge. Evidemment, elles ne sont prises qu’après une enquête, avec du contradictoire.”

Un mode d’action qui s’explique probablement, pour Pierre Bonis, par une forme d’urgence, à l’approche des fêtes de Noël: “Le corpus législatif évolue, pour que l’on ne passe pas des jours ou des années, à regarder des choses illégales en ligne, sans pouvoir rien faire.”

Une démarche rendue possible par une loi de 2020

Le corpus législatif en l’occurrence, repose sur la loi DDADUE, votée en 2020, plus précisément son cinquième article, qui renforce les pouvoirs de la direction de la répression des fraudes. Cette loi « transpose une directive européenne de 2017 », selon Jacqueline Brunelet, avocate en droit économique, chargée d’enseignement à l’université Lyon III. Sur son site, la DGCCRF explique que le texte lui confère le pouvoir d’exiger le déréférencement de certains sites de vente en ligne, mais surtout “d’ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d’enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d’un nom de domaine”. Contacté par Challenges, l’organisme explique: « La France s’est dotée d’une panoplie d’outils efficaces et gradués, et vient de les mettre en œuvre. »

La condition à leur application? Que le site d’e-commerce commette une “infraction punie d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement, portant gravement atteinte à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs, par exemple, lorsqu’il s’agit d’une pratique commerciale trompeuse”. Exactement ce que dénonce la DGCCRF au sujet de Wish. L’organisme de la répression des fraudes précise à Challenges que les mesures prises contre les sites « ne sont pas standardisées, au sens où la loi ne fixe pas une liste précise de cas avec, dans chaque cas, une liste de mesures correspondantes ». Elles sont en revanche prévues de manière graduée.

“Il s’agit de supprimer non pas le site, mais le chemin vers celui-ci”

Reste à déterminer le fonctionnement de “l’interdiction” du site en France évoquée par Bruno Le Maire. “Il s’agit de supprimer non pas le site, mais le chemin vers celui-ci, et l’accès depuis le territoire français”, explique Alexandra Mendoza-Caminade. Pour Pierre Bonis, de l’Afnic, il existe trois formes de blocage possibles.

La première passe par les fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Free, SFR…). Contactés par la DGCCRF, ceux-ci devraient rediriger les internautes, lorsqu’ils entrent l’adresse URL de Wish, non pas sur le site de vente, mais vers une page informant du blocage du site en France. Toutefois, en changeant certains réglages sur son ordinateur, le site est encore accessible, “mais il faut être expert”, explique Pierre Bonis, qui souligne que la gradation des sanctions par la direction des fraudes correspond aussi à une gradation de technicité. 

“Un hébergeur au Botswana ne va pas respecter les lois françaises”

Le second type de blocage passe par l’hébergeur du site Internet, comme OVHcloud. “Cet acteur n’est pas responsable des contenus qu’il héberge, explique Pierre Bonis. Par contre, il a le devoir de supprimer les contenus illicites. C’est la base du partage des responsabilités des acteurs du numérique. Mais s’il est au Botswana, il ne va pas respecter les lois françaises.” Les fournisseurs d’accès à Internet, en revanche, sont situés en France, ce qui les rend plus enclins à respecter la loi française.

Dernier type de blocage, et le plus radical car il mettrait le site à l’arrêt, celui du nom de domaine en lui-même. L’Afnic gère les noms de domaine en « .fr », mais c’est Verisign, une société américaine, qui gère le registre des noms de domaine en « .com », comme celui de Wish. “Et ce n’est pas complètement sûr que Verisign réponde à la demande de la justice française”, explique Pierre Bonis, en expliquant lui-même ne pas systématiquement répondre aux injonctions de juges texans à bloquer des sites Internet. Et si le nom de domaine est bloqué, cela s’appliquerait au monde entier, et non seulement à la France, ce qui poserait des enjeux de droit international. L’organisme de répression des fraudes précise même que, dans son éventail de sanction, « si l’infraction constatée persiste, et dans le cas où l’injonction de blocage n’a pas permis de la faire cesser, la DGCCRF peut délivrer une injonction de suppression ou de transfert du nom de domaine ». Seulement voilà, supprimer le nom de domaine de Wish reviendrait à le rayer de la carte de l’internet mondial.

Un recours entamé par Wish

Bref, “si demain on devait passer au stade du blocage, ça passerait très probablement par les fournisseurs d’accès”, tranche Arnaud Touati, avocat, cofondateur du cabinet Hashtag Avocats. Un système encore contournable, pour les internautes français rodés à l’informatique. Du côté de DGCCRF, on explique que, l’interdiction n’étant pas pour l’instant à l’ordre du jour, le mode de blocage n’a pas encore été fixé.

Autre élément qui pourrait mettre des bâtons dans les roues à une potentielle interdiction: l’entreprise elle-même. Wish annonce, mercredi 24 novembre dans un communiqué, après son déréférencement, déposer un recours. La DGGCRF, pour l’heure, n’a pas encore reçu les éléments de la procédure entamée par Wish. Le communiqué de la plateforme précise:“Nous entamons maintenant un recours juridique pour contester ce que nous considérons comme une action illégale et disproportionnée menée par la DGCCRF”. Wish estime travailler à la qualité de ses produits, chercher le dialogue avec la direction de la fraude, et de toute manière n’avoir “aucune obligation légale d’effectuer des contrôles sur les 150 millions de produits proposés à la vente” sur son site.

Pour Arnaud Touati, qui précise que le recours n’est pas suspensif, c’est sur ce point névralgique que va se jouer la procédure entamée par Wish: “La DGCCRF est dans son rôle, car la santé du consommateur est en jeu. Mais la plateforme a des arguments à faire valoir. Cette affaire pose la question plus large de la fonction des plateformes. Est-ce que leur rôle est juste de mettre en relation des personnes sans être responsable de ce qu’il s’y passe? Ou la plateforme doit-elle contrôler chaque produit en vente? Un tel contrôle est-il réalisable?”. Pour l’avocat, quelque soit l’issue du conflit juridique, il fera date: “Si cette plateforme est interdite aujourd’hui, demain ce sera Aliexpress”, géant chinois du e-commerce, signalé en 2019 par l’UFC-Que-Choisir à la DGCCRF pour ses pratiques commerciales. L’avocate Jacqueline Brunelet approuve: “C’est un signal qui est lancé aux autres plateformes qui opèrent en ligne.”

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