Publié le : 25/11/2021 – 17:15Modifié le : 25/11/2021 – 17:17
Depuis la prise de pouvoir des Taliban, le 15 août, au moins 153 médias ont cessé leurs activités en Afghanistan, condamnant de fait nombre de journalistes au chômage Dans un pays à l’économie sinistrée, il n’y a guère d’autres options que de devenir vendeur de rue pour tenter d’échapper à la pauvreté. C’est ce qu’a dû faire notre Observateur.
À chaque nouvelle ville qu’ils occupaient lors de leur reconquête, les rideaux des rédactions se fermaient. Et l’arrivée des Taliban à Kaboul a sonné le glas pour une centaine de médias et des centaines de journalistes. Beaucoup se sont cachés pour éviter d’être arrêtés, sinon pire.
Beaucoup ont tenté de fuir, la plupart du temps sans succès. Après plusieurs semaines, le manque de revenus les a contraints à se reconvertir comme ils le pouvaient, en général dans des activités manuelles qui leur donnent de faibles revenus, bien moins encore que le peu qu’ils gagnaient comme journaliste.
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“C’est soit un métier, soit des familles qui meurent de faim”
Notre Observateur, Ali (pseudonyme), est journaliste depuis 2014. Il a travaillé pour une petite télévision locale dans le nord de l’Afghanistan, qui a fermé après la prise de Kaboul par les Taliban. Il travaille désormais comme vendeur dans un magasin de fruits.
Depuis que les Taliban sont arrivés, au moins 153 médias ont fermé. La raison principale, c’est le manque d’argent et la peur d’être persécutés. Trois mois après, même des médias qui continuent de travailler sont en sous-effectifs. La plupart des journalistes femmes doivent rester chez elles et plusieurs journalistes ont simplement perdu leur emploi parce que leur média avait des difficultés financières suite à la situation générale ici.
Beaucoup de journalistes se sont cachés pendant des semaines par peur des persécutions, mais à un moment, nous n’avons plus le choix. Il faut qu’on mange, nos familles aussi. Même si c’est dangereux, il faut que bien qu’on gagne de l’argent. C’est soit un métier, soit des familles qui meurent de faim.
Dans un pays dévasté par la guerre et la crise financière, qu’est-ce qu’il reste comme boulot disponible ? Il nous a fallu pour la plupart d’entre nous se tourner vers des métiers comme vendeurs de rue, ou des travaux manuels à faibles revenus. Certains vendent des fruits, des petits objets, des vêtements ou même des biens de leur propre maison aux carrefours.
Selon le média et l’expérience, un journaliste pouvait gagner entre 150 et 500 dollars par mois [entre 132 et 440 euros]. Aujourd’hui, je gagne environ 50 dollars [42 euros] . Et les prix ont augmenté partout depuis l’arrivée des Taliban.
Le prix de nombreux biens a effectivement augmenté en Afghanistan. La farine s’achète, par exemple, désormais autour de l’équivalent de 25 dollars le kilo [environ 22,2 euros], plus du double qu’auparavant. En octobre, la directrice du Programme alimentaire mondial, Mary-Ellen McGroarty, avait alerté sur le fait que “8,7 millions de personnes étaient à un pas de la famine” sur une population afghane de 39 millions d’individus.
“Des gens qui ont vu mes reportages se moquent de moi.”
Notre Observateur poursuit :
“Outre la pression économique, c’est une pression psychologique aussi. On étudie des années, on travaille comme journaliste des années, et puis quoi ? On va vivre comme ça maintenant ? Quand je suis au travail, je croise des gens qui ont vu mes reportages et qui se moquent de moi. Ça fait mal au cœur. Mais de l’autre côté, j’ai heureusement des gens qui me soutiennent, avec des mots réconfortants.
Des journalistes ont pu fuir l’Afghanistan. Certaines personnes se sont fait évacuer en se faisant passer pour journaliste… Mais la plupart sont restées sur le carreau ici. Il y a peu encore, un journaliste télé s’est suicidé à cause de la pression économique et psychologique après avoir perdu son emploi. Un autre est mort dans un accident de voiture en tentant de rejoindre l’Iran.
“Il ne restera rien du journalisme en Afghanistan”
Par ailleurs, quand la plupart des médias d’un pays ferment soudainement, cela affecte la quantité et la qualité de l’information, et le type d’information donné. Ici, les médiaux locaux avaient un rôle important pour révéler ce qui se passait dans les régions reculées. Désormais, ce genre d’information n’est plus relayé, ou trop tard.
Même les médias qui ont survécu ne sont plus libres. Les Taliban ont été clairs sur le fait qu’il y avait des sujets dont il était interdit de parler, des choses qu’il était interdit de montrer, et même certaines informations qu’il est obligatoire de diffuser quand les autorités les envoient. [La musique, les émissions de divertissement, les jeux d’inspiration occidentale et toutes les séries occidentales sont ainsi désormais bannis des ondes afghanes, NDLR ]
Photo envoyée par notre Observateur de son écran de télévision, sur lequel il regarde une chaîne en persan, basée à Londres. © Observers
En ce moment, pour m’informer je regarde les médias en persan comme la BBC Persian ou Iran International, ou des médias internationaux comme CNN.
Je ne suis pas optimiste sur le futur du journalisme en Afghanistan. J’espère un jour pouvoir partir et continuer mon métier dans un média persanophone à l’étranger, mais ici je pense que ce n’est plus possible. Si les organisations internationales n’interviennent pas, il ne restera plus rien du journalisme en Afghanistan.
La Banque mondiale a estimé, dans un rapport publié le 8 octobre, qu’une “part substantielle de la population risque de basculer sous le seuil de pauvreté”, en conséquence “d’impacts négatifs” sur l’emploi et le niveau des prix. Ce risque concerne, selon l’institution, 10 millions d’Afghans. Elle estime aussi que la situation alimentaire devrait se détériorer, “avec de potentiels impacts négatifs à long terme étant donné la population jeune de l’Afghanistan”.
L’article Des centaines de journalistes afghans contraints de se reconvertir dans des petits boulots est apparu en premier sur zimo news.