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Le désespoir « des gens de l’Est », conté par l’écrivain turc d’origine kurde Kemal Varol

LETTRE D’ISTANBUL

«  Ouâf  », de Kemal Varol, Kontr, 240 p., 22 euros. KONTR

De passage à Istanbul, l’écrivain Kemal Varol est un homme pressé. S’il dit apprécier la ville sur le Bosphore, ses cafés bondés, son agitation, il lui tarde de rentrer à Diyarbakir, la grande ville kurde du sud-est de la Turquie, où il enseigne la littérature et où il a toujours vécu. Son grand-père paternel était un dengbej, un chanteur épique kurde, son père récitait des poèmes aux accents du kaval, la flûte traditionnelle.

C’est dans cette région riche en musicalité et traumatisée par les conflits qu’il puise son inspiration, restituant dans ses livres, de façon sensible et poétique, le désespoir « des gens de l’Est ». Dans son roman Ouâf (Kontr, 2020), l’auteur décrit, à travers la narration d’un chien, la « sale guerre » des années 1990 entre l’armée turque et les rebelles armés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

L’ouvrage expose les enjeux de la question kurde, toujours aussi problématique en Turquie, où il arrive que des individus soient condamnés à des peines de prison pour avoir chanté en kurde ou pour avoir osé prononcer le mot « Kurdistan ». Ouâf, c’est l’histoire de Mikasa, un chien errant, mal-aimé, renié par sa mère, incapable de lever des femelles, raillé par les soldats, qui le soupçonnent d’être homosexuel, lequel se retrouve enrôlé de force par l’armée, formé au déminage.

Une tragédie pour le bâtard qui va perdre ses deux pattes arrière dans l’explosion d’une mine qu’il a omis de signaler. En réalité, Il l’a fait exprès, pour se venger. Il fallait que le chef de la contre-guérilla, le tortionnaire surnommé Turquoise, qui a éliminé la chienne Melsa, sa fiancée, s’approche de l’engin enfoui et soit tué. Mission accomplie.

« Prendre de la hauteur »

« J’ai voulu montrer ce que la guerre fait aux hommes et à la nature », explique Kemal Varol, rencontré dans un salon de thé de la place Taksim, sur la rive européenne d’Istanbul. Pour avoir « grandi dans cet environnement conflictuel », il en connaît tous les recoins. La difficulté consistait à trouver le juste milieu. « Choisir un camp, c’est facile. Essayer de comprendre ce qui se passe est beaucoup plus ardu », précise-t-il de sa voix grave. Le chien lui a permis « de prendre de la hauteur ».

L’idée de la narration canine lui est venue le jour où il a vu des soldats patrouiller avec un chien dans la rue. « L’expression mélancolique de l’animal m’a marqué. Un peu plus tard, j’ai appris que des chiens démineurs avaient été utilisés dans le conflit. » Son héros à quatre pattes est terriblement humain. Transi d’amour pour sa belle, amateur de joints et de cinéma, doté d’un certain humour, Mikasa est rebuté par l’ignominie des hommes, pris dans l’engrenage de la guerre. Une guerre qu’il décrit de loin et de façon glaçante.

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