Il est désormais surnommé « le sniper n° 1 » du Burkina Faso. Ce samedi 20 novembre, Aliou S., 13 ans, a été porté en héros par une foule en liesse rassemblée à Kaya, la principale ville de la région du centre-nord. A l’aide de son lance-pierre traditionnel, Aliou a abattu un drone français qui surveillait les nombreux manifestants rassemblés depuis la veille pour empêcher le passage d’un convoi de l’armée française. Parti de Côte d’Ivoire en direction du Niger, celui-ci avait déjà été bloqué plusieurs heures à Bobo Dioulasso et à Ouagadougou les jours précédents.
Ce 20 novembre, alors que les Français s’étaient repliés sur un terrain vague grillagé en attendant qu’on leur libère la route, la situation a dégénéré. « Des manifestants ont voulu forcer les grillages et commençaient à jeter des cailloux. Les soldats français ont ouvert le feu [des tirs de sommation]. Ils ont fait quatre blessés », soutient Issa Ouedraogo, un étudiant de Kaya. Si le bilan a été confirmé par plusieurs sources locales, l’origine des balles reste indéterminée, les forces de sécurité burkinabées étant aussi présentes au moment des faits. A Paris, l’état-major a assuré qu’il n’y avait « aucun blessé du fait de l’action des militaires français ».
Dans la nuit, les négociations menées par les autorités locales ont permis au convoi de se rediriger vers Ouagadougou. Mais ce dimanche soir, la soixantaine de véhicules était à nouveau bloquée à Laongo, une commune située à une trentaine de kilomètres de la capitale tandis que plus à l’Est, sur la route de Fada N’Gourma menant au Niger, les populations commençaient à s’organiser, dans l’éventualité où le convoi décide de poursuivre sa route par ici.
Les populations cherchent un coupable
« Nous avons donné le mot d’ordre dans tout le pays : ils ne passeront pas. La France est complice des terroristes. On ne peut pas accepter que ses militaires traversent notre territoire avec de l’armement qui pourrait être livré à nos ennemis », fustige Roland Bayala. Le porte-parole de la Coalition des patriotes africains du Burkina Faso (Copa-BF) reproche à l’armée française, présente à Ouagadougou à travers les forces spéciales de l’opération « Sabre » de « ne rien faire pour stopper les attaques », oubliant de rappeler qu’un soutien de l’opération antiterroriste « Barkhane » au Burkina Faso avait été refusée par le gouvernement burkinabé.
Ces propos tranchants traduisent en tout cas la colère grandissante d’un peuple burkinabé qui, à l’instar de son voisin malien, est excédé de voir les terroristes multiplier les massacres sur son territoire, sans que le gouvernement ni ses alliés occidentaux ne parviennent à l’empêcher.
La dernière attaque d’envergure qui a visé le détachement de gendarmerie d’Inata le 14 novembre a laissé les Burkinabés sous le choc. Avec un bilan encore provisoire de 49 gendarmes et 4 civils tués, l’attaque est la plus meurtrière jamais perpétrée contre les forces militaires depuis le début de l’expansion djihadiste en 2016.
Furieuses, les populations cherchent un coupable. Des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes pour réclamer le départ du président Roch Kaboré, au pouvoir depuis fin 2015 et réélu fin 2020. Des messages anti présence militaire française se sont aussi glissés dans certains rassemblements, rappelant la situation au Mali, où l’action de Paris au Sahel est fustigée à presque chaque mobilisation.
L’ombre de la Russie
Interrogé par la chaîne LCI ce 21 novembre, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a souligné avoir « fait savoir au président Roch Kaboré que nous souhaitons qu’il aide à régler cette situation, à Kaya », redoutant des tensions à venir « pour des raisons internes et externes, puisqu’il y a des relais d’opinion qui font aujourd’hui aussi de la guerre informative ».
En ligne de mire de Paris : la Russie, soupçonnée de soutenir des associations africaines dans leur engagement contre la présence militaire française au Sahel. Roland Bayala se défend de toute immixtion russe dans les affaires de la COPA-BF mais revendique sa proximité avec l’association malienne Yerewolo, à l’origine des mobilisations de soutien à une arrivée du groupe de sécurité privé russe Wagner, au Mali.
A l’entrée de Ouagadougou, ce 21 novembre, des manifestants qui attendaient l’arrivée du convoi militaire français tenaient un drapeau russe. « Si Wagner souhaitait venir libérer notre pays des terroristes, on leur souhaiterait une bonne arrivée », souligne Roland Bayala. Pour le leader associatif, « le vent est en train de tourner au Sahel » et « un même sentiment anime aujourd’hui la jeunesse malienne et burkinabée ». Les accusations de complicité de la France avec les groupes armés récemment lancées par le premier ministre de la transition malienne Choguel Maïga ont raisonné à Ouagadougou.
Jusqu’où la contestation contre la présence militaire française s’étendra-t-elle au Sahel ? Au Niger voisin où le convoi militaire français bloqué avait prévu de transiter, des voix se lèvent pour protester, comme lors d’un rassemblement à Dosso (sud-ouest) ce dimanche, contre « l’occupation militaire de la France au Niger ». Autant de contestations qui, si elles s’accentuaient, rendraient de plus en plus ardue la réorganisation du dispositif militaire français au Sahel annoncée par Emmanuel Macron en juin et qui entendait faire du Niger son pays pivot dans la région.
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