Publié le : 17/11/2021 – 18:02
Sur les réseaux sociaux chinois, il est désormais impossible d’évoquer Peng Shuai, la joueuse de tennis qui a accusé l’ex-vice-premier ministre Zhang Gaoli de viol, sous peine d’être immédiatement censuré. En l’absence d’espace pour lui montrer leur soutien, les voix des féministes chinoises sont quasi inaudibles. Un climat de censure et de peur avec lequel doivent composer les militantes de #MeToo en Chine, raconte notre Observatrice « Krystal », une figure du mouvement.
Le 2 novembre dernier, la joueuse internationale de tennis Peng Shuai a publié un long message sur son compte Weibo – équivalent de Twitter en Chine – dans lequel elle accuse l’ex-vice-premier-ministre chinois Zhang Gaoli de l’avoir violée. Vingt minutes plus tard, la publication disparaît et la joueuse n’a depuis plus fait aucune apparition publique, bien que la WTA (l’association des joueuses de tennis ) ait assuré qu’elle était en sécurité.
Sur le Web chinois, il ne reste plus aucune trace de cet épisode historique pour le mouvement #MeToo. Initié aux États-Unis en 2017, ce mouvement, qui encourage les femmes à prendre la parole sur les violences sexuelles qu’elles ont subies, est arrivé en Chine en 2018, après que la scénariste Xianzi a accusé Zhu Jun, présentateur vedette de la télévision publique CCTV, de harcèlement sexuel. Une affaire qui s’est conclue en septembre dernier par un non-lieu.
Krystal*, une Chinoise d’une trentaine d’années, est l’une des figures du mouvement. Depuis les États-Unis, où elle vit depuis cinq ans, elle tente de coordonner #MeToo en Chine. Et d’après elle, il est désormais impossible d’échanger sur Peng Shuai depuis ses révélations.
Elle met en cause l’un des hommes les plus influents du pays. Son message a été censuré si rapidement que je n’ai même pas eu le temps de le lire moi-même. Sur WeChat [équivalent chinois de Whatsapp, NDLR], les messages qui comprennent son prénom et/ou son nom de famille sont supprimés. À moins de vraiment creuser pour avoir des informations, impossible de savoir ce qu’il s’est passé.
« Les féministes n’ont aucun espace pour montrer leur soutien à Peng Shuai »
Certaines féministes chinoises ont malgré tout tenté de montrer leur soutien à Peng Shuai via des initiatives anonymes, en dehors du Web chinois. Un site Internet, « Stand with Peng Shuai« , permet par exemple de laisser des messages de soutien à la sportive. Une initiative saluée par Krystal.
Nous avons besoin de ce type d’espace. Ce site est très difficile d’accès depuis la Chine, mais il permet de parler de l’affaire, de montrer qu’on la soutient, qu’elle n’est pas seule.
Le gouvernement essaie d’effacer l’existence de Peng Shuai, de faire comme si ces accusations n’avaient jamais existé. (…) Ce site permet aussi de ne pas l’oublier.
Capture d’écran du blog en soutien à Peng Shuai, créé via “padlet” © Lien site internet
« Beaucoup de comptes de féministes chinoises ont été censurés »
En Chine, le mouvement #MeToo se heurte depuis le début à la censure. En témoigne la variante du hasthag, “ 米兔 “riz’(mi) et lapin (tu)” : une astuce pour détourner les algorithmes de Weibo, qui censure souvent les publications utilisant le hashtag en anglais.
Le sujet n’est pratiquement pas évoqué dans les grands médias chinois et les pages Weibo tenues par des féministes sont aussi régulièrement suspendues par le site Internet, sous le motif qu’elles diffusent des informations « illégales et dangereuses ».
Krystal poursuit :
Moi j’ai été totalement bannie de Weibo. Sur mon compte, je ne faisais que montrer mon soutien à d’autres activistes de #MeToo, rien d’autre.
C’est encore pire depuis cette année. Beaucoup de féministes chinoises ont vu leur compte censuré ou ont été victimes de cyber-intimidation parce qu’elles pointaient du doigt l’inaction du gouvernement et les failles du système.
Some students of Wuhan University expressed their support for feminists whose accounts had been cancelled by Weibo on campus. pic.twitter.com/6Gn2xtSIfS
— FreeChineseFeminists (@FeministChina) April 20, 2021
petit rassemblement pro-féministes devant l’université de Wuhan en soutien d’étudiantes au compte Weibo supprimé
Les intimidations viendraient à la fois des anti-féministes et des autorités qui, pour se justifier, accusent parfois les féministes de défendre des idées étrangères, ou d’être pro-indépendance de Taïwan et Hon Kong. La journaliste Huang Xueqin, connue pour avoir couvert de nombreux cas #MeToo en Chine, est quant à elle incarcérée depuis septembre 2021 pour « subversion du pouvoir de l’État ».
Krystal rapporte également les intimidations de la police subie par des femmes ayant indiqué, via leur messagerie privée, vouloir soutenir Xianzi à son procès contre le présentateur de CCTV.
Le gouvernement est très attentif au mouvement [#MeToo] et ne sait pas comment l’arrêter. Ils veulent identifier qui se ‘cache’ derrière. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’il n’y a personne. Ce sont des femmes qui dénoncent leur cas spontanément, volontairement, parce qu’elles ont été maltraitées par le système et qui ont osé le faire parce qu’elles ont vu d’autres femmes le faire.
Celles qui sont considérées comme des ‘organisatrices’ sont généralement tout simplement des femmes qui affichent leur soutien à d’autres femmes.
Selon Krystal, la censure et l’intimidation ne seraient pas systématiques : elle, ou sa famille restée en Chine par exemple, n’ont pour le moment pas eu de problème. Elle espère que le mouvement continuera de progresser, malgré la censure :
Le mouvement ne meurt pas malgré toutes ces difficultés et ces obstacles. Le fait que Peng Shuai ait rompu le silence est une preuve que #MeToo continue de croître. Même si le gouvernement essaie de le faire taire, ils n’y arrivent pas, car beaucoup trop de femmes ont été maltraitées depuis si longtemps.
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