Publié le : 17/11/2021 – 13:16
Sollicités de toutes parts dans la course aux parrainages pour la présidentielle française, les élus ont de plus en plus de réticence à apporter leur signature aux candidats. Actuellement réunis au Congrès des maires de France à Paris, des édiles expliquent leur défiance.
Convaincre un citoyen français n’est pas toujours chose facile. Convaincre un élu est chose plus difficile encore. C’est du moins ce que ne cessent d’assurer les petits candidats à l’élection présidentielle et ceux des partis nationalistes. Selon une loi organique de 1976, chaque postulant à l’Élysée doit en effet recueillir 500 signatures de maires, sénateurs, députés ou conseillers départementaux et régionaux pour que sa candidature soit validée. Autre règle : afin d’éviter les candidatures liées à la défense d’intérêts purement locaux, les parrainages doivent émaner d’élus d’au moins 30 départements différents, sans dépasser 50 signatures pour une même collectivité. Le tout doit enfin être réuni dans un délai restreint : la période de recueil des parrainages s’achève au plus tard le sixième vendredi avant le premier tour de l’élection, soit le 4 mars 2022 pour le scrutin à venir. Une gageure pour beaucoup d’aspirants à la fonction de président de la République.
À toutes ces contraintes s’ajoute encore la méfiance grandissante des élus locaux. Un sentiment corroboré par des statistiques : en 2017, seulement environ 34 % des élus habilités avaient parrainé un candidat. En 2012, ils étaient 36 %. À en croire les nombreux édiles réunis au Congrès des maires de France qui se tient du 16 au 18 novembre à la porte de Versailles à Paris, la participation des élus à la présidentielle de 2022 pourrait connaître une nouvelle baisse. Beaucoup d’entre eux avouent en effet qu’ils ne parraineront pas de candidat. Plusieurs raisons expliquent cette frilosité.
« Parrainer un candidat, c’est s’afficher politiquement », explique François Cap, maire du village de Sincey-lès-Rouvray, petite commune de Bourgogne de 120 habitants, qui a fait le déplacement au congrès de l’Association des maires de France. © Aude Mazoué, France 24
Parrainer, « c’est s’afficher »
« Parrainer un candidat, c’est s’afficher politiquement, explique François Cap, maire du village de Sincey-lès-Rouvray, petite commune de Bourgogne de 120 habitants, qui a fait le déplacement au congrès parisien. Le problème ne se pose pas pour les maires des grandes villes qui sont engagés politiquement. Mais dans les villages, on est élu pour administrer une commune, pas pour faire de la politique. » Une opinion partagée par Olivier Brun, maire de la commune de Fontès, dans l’Hérault, également présent à la porte de Versailles. « Certains maires de petites communes se sont mis le conseil municipal à dos en parrainant des extrêmes. Pour qu’il y ait davantage de parrainages, il faudrait qu’ils ne soient pas publiés, assène l’élu en poste depuis 26 ans. Je parrainais des candidats avant que les signatures ne soient rendues publiques (en 2016, NDLR). »
« Certains maires de petites communes se sont mis le conseil municipal à dos en parrainant des extrêmes », explique Olivier Brun, maire de la commune de Fontès, dans l’Hérault, présent au congrès annuel de l’Association des maires de France, porte de Versailles à Paris. © Aude Mazoué, France 24
Le refus de parrainer est plus marqué encore dès lors qu’il s’agit de candidats d’extrême droite. « Je pourrais facilement donner mon parrainage à un petit candidat pour jouer le jeu de la démocratie », concède à France 24 Claude Arias, maire centriste de Loriol-sur-Drôme. « Mais mon ouverture démocratique trouve aussi ses limites : je n’apposerai pas mon nom à côté de celui d’Éric Zemmour, par exemple », lâche l’élu.
Transparence
Depuis la loi du 25 avril 2016, qui impose davantage de transparence, les nom et qualité des parrains sont en effet publiés sur le site Internet du Conseil constitutionnel. Un principe que dénonce Marine Le Pen, notamment depuis la campagne de 2017. « Nous avons réclamé que leurs noms ne soient pas publiés, parce que ça n’apporte rien, tempête la présidente (mise en disponibilité) du Rassemblement national. À part permettre à certaines associations d’extrême gauche de faire pression sur eux. »
Des arguments que balaye l’analyste Bruno Cautrès, chercheur du CNRS au Cevipof. « Il me semble tout à fait normal que le maire, qui tire sa légitimité du suffrage universel, puisse rendre des comptes à ses administrés. Le maire est saisi en tant qu’élu, son vote n’est pas individuel. Il ne s’agit pas d’obstacles comme le prétendent certains mais de filtres qui permettent d’évincer les candidatures fantaisistes. Ils ont un effet structurant nécessaire sur la campagne, souligne le politologue, contacté par France 24. Sans ces freins, comment organiser le temps de parole des candidats si leur nombre est pléthorique ? »
Antoine Parra, maire divers gauche d’Argelès-sur-Mer, observe autour de lui de plus en plus de refus de maires excédés par les sollicitations opportunistes. © Aude Mazoué, France 24
Autre problème : de nombreux maires regrettent que les candidats à la présidentielle ne s’intéressent à eux que tous les cinq ans. Antoine Parra, maire divers gauche d’Argelès-sur-Mer, observe autour de lui de plus en plus de refus de maires excédés par les sollicitations opportunistes. « En dehors de la course aux parrainages, les maires se sentent un peu oubliés. Cela a toujours été le cas. Mais il y a là peut-être davantage de lassitude. » Il y a également un phénomène nouveau, abonde l’élu des Pyrénées-Orientales. « Avant, nous avions des partis clairement identifiés. Aujourd’hui, les périmètres sont moins clairs. De ce fait, le choix du candidat est moins évident », confie le maire, qui ne sait pas encore à qui il apportera son soutien.
Il demeure enfin des refus de parrainage plus politiques. Les cosignataires du « serment de Romainville » en sont la preuve. Des dizaines d’élus de gauche exaspérés ont fait le choix de boycotter les parrainages car ils ne supportent plus que leur famille politique soit éparpillée « façon puzzle ». « J’ai signé le #SermentDeRomainville #PrimairePopulaire. Mon parrainage n’est donc pour personne ! », assène sur son compte Twitter Yvan Lubraneski, maire des Molières, dans l’Essonne, qui milite pour une union de la gauche.
Harcèlement
Les parrainages moins nombreux finissent par accentuer la pression des candidats sur les élus. Au point que certains maires n’hésitent plus à parler de harcèlement. Courriers, e-mails, appels téléphoniques, SMS : certains candidats recourent à tous les moyens pour obtenir les précieux soutiens. Jean-Marc Grunfelder, maire sans étiquette de Sillegny, au sud de Metz, a tout un dossier de demandes sur son bureau. « Je ne les conserve plus… », se désole l’élu au micro de France Bleu Lorraine Nord. « Maintenant, je reçois des courriers à la maison, on vient sonner à ma porte, on m’appelle sur mon portable… » L’insistance des candidats est plus forte au sein des partis d’extrême droite. Il faut dire que les compétiteurs y sont nombreux. Marine Le Pen, qui avait bouclé ses parrainages trois jours seulement avant la date butoir lors de la présidentielle de 2017, doit désormais compter avec la mordante concurrence d’Éric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot et François Asselineau. Or il y a « à chaque fois, peu ou prou, 5 000 élus prêts à parrainer un candidat à la présidentielle. C’est un tout petit gâteau. Si 1 500 d’entre eux sont favorables à une candidature nationaliste, c’est déjà énorme », expliquait récemment une source proche de Marine Le Pen au Figaro.
Les maires sont pourtant tous d’accord sur un point : ils ont bien d’autres préoccupations que ces fichus parrainages. Ce mercredi, ils doivent notamment désigner le président de l’Association des maires de France (AMF), qui les représentera pour trois ans. Mais là encore, les édiles sont rattrapés par la présidentielle. Dans les files d’attente du congrès, çà et là, des escouades de représentants de candidats interpellent les maires et tentent de leur soutirer une signature.
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