Le maréchal libyen Khalifa Haftar, qui a échoué à conquérir Tripoli par les armes, a annoncé mardi sa candidature à la présidentielle du 24 décembre. À 77 ans, l’ancien officier de l’armée kadhafiste n’a toujours pas renoncé à diriger la Libye. Portrait.
Après avoir tenté de prendre le pouvoir à coups de canon, le maréchal Khalifa Haftar s’est officiellement engagé sur la voie de la démocratie en Libye. Sans surprise, celui qui est surnommé « l’homme fort de l’Est » a annoncé, mardi 16 novembre, sa candidature à la présidentielle prévue le 24 décembre.
« Je déclare ma candidature à l’élection présidentielle, non pas parce que je cours après le pouvoir mais pour conduire notre peuple en cette période cruciale vers la gloire, le progrès et la prospérité », a lancé le maréchal dans un discours retransmis en direct depuis Benghazi.
À 77 ans, Khalifa Haftar entretient ainsi son rêve d’incarner le rôle du « sauveur » de la Libye, qui l’avait poussé jusqu’à mener, en avril 2019, une offensive pour s’emparer de Tripoli. En vain.
Formé en ex-USS et « retourné » par les États-Unis
Rien ne prédestinait cet ancien officier de l’armée libyenne, formé à l’académie militaire de Benghazi puis en ex-URSS, à se lancer à l’assaut des urnes.
Jusqu’ici, Khalifa Haftar a toujours vécu en soldat. Un soldat ayant participé au coup d’État militaire de 1969, qui a renversé la monarchie des Senoussi et installé… Mouammar Kadhafi à Tripoli.
Nommé cadre de l’armée libyenne en récompense de ses faits d’armes, le jeune général s’engage une décennie plus tard dans la guerre qui oppose la Libye au Tchad, de 1978 à 1987. Mais, capturé avec l’ensemble de son unité au cours de la bataille de Ouadi-Doum, en 1987, il est lâché par le très versatile colonel Kadhafi.
Cette trahison convainc Khalifa Haftar à faire défection et à se jeter dans les bras des États-Unis qui veulent en finir avec le régime de Mouammar Kadhafi, le « chien fou du Moyen-Orient », selon les propres termes du président Ronald Reagan.
Sorti de prison et « retourné » par les services américains, Khalifa Haftar est placé à la tête d’une force qui porte son nom, basée au Tchad. Constitué de quelque 2 000 Libyens, le groupe avait pour mission de marcher sur Tripoli. Mais la force Haftar abandonne ses projets en 1990, à l’arrivée au pouvoir à N’Djamena d’Idriss Déby.
La revanche contre Kadhafi
Après cet échec, le général s’exile aux États-Unis, où il rejoint le mouvement de l’opposition libyenne à l’étranger. Il s’installe à Langley, dans l’État de Virginie, près du siège de la CIA, où il est formé militairement.
Son destin bascule en 2011, en même temps que celui de son pays. Alors que la population libyenne, encouragée par les révoltes dites du Printemps arabe, se soulève contre le régime kadhafiste, Khalifa Haftar décide de rentrer en Libye, précisément à Benghazi, la grande ville de l’Est et épicentre de la contestation.
Il est inconcevable de laisser passer une chance de prendre sa revanche sur le colonel Kadhafi. Khalifa Haftar revêt son uniforme et se voit rapidement nommé à la tête des forces terrestres par le Conseil national de transition (CNT), le bras politique de la rébellion.
Alors qu’il est perçu en Libye comme trop lié à l’administration américaine, les autorités de transition ne lui font pas totalement confiance, voyant en lui un militaire revanchard et un ambitieux aux penchants autoritaires. Il peut toutefois compter sur le soutien indéfectible d’anciens soldats du régime qui ont fait défection.
Mis en échec aux portes de Tripoli
Alors que la Libye s’enfonce peu à peu dans le chaos et l’anarchie, le pays se devise sur l’après-Kadhafi, en deux camps rivaux qui se font face. D’une part, à Tripoli, le gouvernement d’union nationale (GNA), dirigé par le Premier ministre Fayez al-Sarraj et reconnu par la communauté internationale, et de l’autre, un gouvernement et un parlement parallèles installés dans l’Est, à Tobrouk.
Se présentant comme chef de l’autoproclamée « Armée nationale libyenne » (ANL), Khalifa Haftar tente de jouer sa carte personnelle en cherchant à apparaître aux yeux des Occidentaux et des voisins directs de son pays comme la seule garantie de stabilité et le seul rempart contre le terrorisme jihadiste dans la région. Un discours qui trouve des oreilles attentives à l’étranger, notamment à Paris, Moscou ou au Caire, et même à Washington.
La stratégie de celui qui est devenu maréchal est payante dans un premier temps : longtemps à l’initiative sur le plan militaire, Khalifa Haftar prétend contrôler 80 % du pays au début de 2019, au moment où l’ANL, qui tient Benghazi et la Cyrénaïque, est plus puissante que jamais.
Une opération visant à éliminer les « groupes terroristes et criminels » dans le sud-ouest du pays lui permet de conquérir, mi-janvier, une vaste région frontalière avec l’Algérie, le Niger, le Tchad et le Soudan. À l’époque, la diplomatie française salue les opérations de l’ANL « qui ont permis d’éliminer des cibles terroristes importantes ».
Au cours du mois de juin 2018, l’ANL a déjà annoncé la prise de « contrôle total » d’une région surnommée le « Croissant pétrolier » dans le nord-est, où le pétrole libyen est acheminé vers l’étranger. Les troupes du maréchal se sont également emparés, au cours du même mois, de Derna, fief des islamistes radicaux et seule ville de la région orientale qui échappait à leur contrôle.
Seule Tripoli lui résiste encore et rejette ses demandes de dissolution du Parlement et la formation d’un comité présidentiel pour diriger la Libye en attendant la tenue de nouvelles élections.
Grisé par ses victoires et soutenu par ses alliés étrangers comme l’Égypte, la Russie et les Émirats arabes unis, le maréchal se lance à l’assaut de la capitale le 4 avril 2019.
Mais ses troupes sont repoussées après plusieurs mois de combats sanglants en juin 2020 par les troupes loyales au GNA, activement soutenues militairement par la Turquie. La série de revers de l’ANL qui aboutit à la perte de contrôle de tout l’ouest libyen acte l’échec de l’offensive du maréchal contre Tripoli et celui de la solution militaire au conflit en Libye.
Un maréchal controversé
Cet échec, qui a renvoyé le maréchal dans sa caserne, a été suivi de la signature d’un cessez-le-feu en octobre 2020 et, surtout, de l’installation en mars 2021, sous l’égide de l’ONU, d’un gouvernement chargé de mener la transition d’ici les élections de décembre.
Après avoir été la force dominante en Libye, puis un temps hors-jeu, Khalifa Haftar va devoir chercher à convaincre les Libyens qu’il est bel et bien l’homme de la situation. Et ce, alors même qu’il est vigoureusement rejeté par une grande majorité de la population dans l’ouest et le sud de la Libye et que sa campagne militaire, entachée d’accusations de crimes de guerre, a terni son image – pas seulement à l’intérieur du pays.
Pour entamer cette mue et pouvoir se présenter à la présidentielle, le maréchal s’était provisoirement retiré, le 22 septembre, de ses fonctions à la tête de l’ANL, comme le stipule la loi électorale.
Une loi électorale qui n’a pas été votée par le Parlement, mais directement ratifiée par son chef, Aguila Saleh, qui est un proche du candidat Haftar. Le texte est d’ailleurs critiqué par ses détracteurs comme taillé sur mesure pour lui, car il lui permet d’être candidat à la présidentielle et de pouvoir retrouver son poste militaire s’il n’était pas élu.
« Le prochain scrutin est désormais un moyen de recycler l’ancien système au lieu d’établir une transition consensuelle. Après l’échec de l’option militaire, le maréchal Haftar est en course pour succéder au colonel » Kadhafi, a commenté sur Twitter Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève.
Ironie de l’histoire, Khalifa Haftar devra batailler lors de cette élection avec un autre Kadhafi qui pourrait lui barrer la route vers le pouvoir. Il s’agit de Seïf al-Islam, le fils de l’ancien dictateur, lui aussi candidat à la présidentielle du 24 décembre, alors qu’il est recherché par la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité ».
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