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“Le grand remplacement” : la théorie française qui séduit l’extrême droite mondiale

L’animateur controversé de Fox News, Tucker Carlson, y fait souvent référence en direct à l’antenne. Elle a poussé un nationaliste blanc à commettre les attentats terroristes de 2019 contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, faisant 51 morts. En France, où elle est apparue, la théorie du grand remplacement a le vent en poupe, martelée par Éric Zemmour à la télévision et relayée sur les réseaux sociaux. Mais en quoi consiste exactement cette théorie et comment est-elle née ? 

« Compte suspendu ». Deux mots en gras qui ornent le profil du compte Twitter de Renaud Camus, bloquant son accès à la plateforme qu’il utilisait pour participer à des débats politiques et faire avancer ses convictions. Si sa renommée internationale est loin d’égaler celle de son homonyme, l’écrivain Albert Camus, sa théorie a néanmoins fait le tour du monde.

C’est dans son livre « Le Grand Remplacement », publié en 2011, qu’il a inventé cette expression, devenue depuis un cri de ralliement pour l’extrême droite à travers le monde. S’il refuse d’admettre que ses propos incitent à la haine ou à la violence, le réseau social Twitter en a jugé autrement en suspendant son compte à la fin du mois d’octobre. Moins d’une semaine plus tard, le 4 novembre, Renaud Camus a été jugé pour la deuxième fois dans le sud-ouest de la France pour incitation à la haine raciale après avoir publié des commentaires offensants sur Twitter en 2019.

Il a fait appel du verdict prononcé contre lui en janvier 2020 et la décision du tribunal sera annoncée le 20 janvier 2022. Pour l’instant, sa peine de deux mois de prison a été suspendue.

Renaud Camus « n’a rien inventé »

Enracinée dans le nationalisme raciste, la théorie du grand remplacement attribue à une petite élite un complot contre les Français et les Européens blancs, visant à les remplacer à terme par des non-Européens d’Afrique et du Moyen-Orient, dont la majorité sont musulmans. Renaud Camus parle souvent de « génocide par substitution ».

Les notions de cette théorie remontent à 1900, lorsque le père du nationalisme français Maurice Barrès parle d’une nouvelle population qui prendrait le pouvoir, triompherait et « ruinerait notre patrie ».

Dans un article du quotidien Le Journal, celui-ci écrivait : « Le nom de France pourrait bien survivre ; le caractère spécial de notre pays serait cependant détruit, et le peuple installé dans notre nom et sur notre territoire, s’acheminerait vers des destinées contradictoires avec les destinées et les besoins de notre terre et de nos morts. »

À l’époque où Maurice Barrès écrivait, « l’antisémitisme était extrêmement courant », explique Aurélien Mondon, chercheur et maître de conférence en politique à l’université de Bath, dans le sud-ouest de l’Angleterre, contacté par France 24. « Barrès parlait de l’idée de pureté raciale », analyse-t-il, ce qui explique pourquoi la théorie du remplacement de la population est devenue si populaire chez les nazis, par exemple.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite française a dû réinventer son discours pour effectuer un retour. Délaissant le racisme biologique au profit du racisme culturel, la théorie du remplacement a gagné du terrain dans les années 1970 et 1980.

« La Nouvelle Droite et certains intellectuels français tentaient de trouver des moyens de sortir de la marginalité », explique Aurélien Mondon. Au fil des ans, ces idées se sont propagées au sein de l’extrême droite, qui devenait de plus en plus courante en France, ouvrant finalement la voie à Renaud Camus pour publier son livre sur le sujet sans être considéré comme trop radical.

« Renaud Camus n’a rien inventé », explique le chercheur. « Il a rassemblé des concepts et inventé l’expression, mais sa théorie s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large qui a contribué à la refonte de l’extrême droite [en France]. »

Esquiver l’accusation de racisme

La théorie du grand remplacement a fait son chemin dans le monde entier, devenant très populaire parmi les mouvements identitaires en Europe et au sein de l’ »alt-right », la droite alternative américaine. Pour Aurélien Mondon, cela a été rendu possible par la façon dont l’extrême droite a adapté sa position sur le racisme. Plutôt que de parler de hiérarchies raciales ou ethniques, le discours se concentre davantage sur les cultures et le pouvoir culturel.

Dans une interview récente accordée à la chaîne de télévision ancrée très à droite CNews, Renaud Camus a affirmé que sa théorie ne portait pas sur la race, mais sur la défense de la civilisation. « Le racisme est toujours tabou dans nos sociétés », explique Aurélien Mondon. « Personne ne veut admettre qu’il est raciste et personne ne veut être traité de raciste. »

« Les personnes qui regardent cette interview et qui vont succomber à cette panique, à cette idée selon laquelle elles vont être remplacées sur le plan ethnographique, ne veulent pas être traitées de racistes et vont dire qu’elles défendent la civilisation », poursuit-il. « Cette approche leur offre une respectabilité tout en véhiculant des préjugés racistes, et en protégeant leurs propres privilèges », analyse le maître de conférence.

Alliances contre-nature

Renaud Camus a également pris le parti d’Éric Zemmour, l’éditorialiste d’extrême droite pressenti comme potentiel candidat pour la prochaine élection présidentielle française. Un juste retour des choses puisqu’Éric Zemmour s’est lui-même inspiré de Renaud Camus et a propagé la théorie du grand remplacement dans plusieurs de ses propres livres.

Pourtant, tandis qu’Éric Zemmour fait des déclarations ouvertement homophobes, Renaud Camus était devenu dans les années 1970 une icône gay en revendiquant son homosexualité. Il a écrit pour l’hebdomadaire français LGBT+, Gai Pied, en tant que chroniqueur et a publié un roman autobiographique en 1979 intitulé « Tricks » – le récit détaillé de ses ébats d’un soir dans des boîtes de nuit et des appartements crasseux en Europe et aux États-Unis.

Selon Aurélien Mondon, cette alliance contre-nature est essentielle pour comprendre comment des théories comme celle du grand remplacement se sont répandues si facilement. « Les gens de l’extrême droite se nourrissent de contradictions. Des antisémites convaincus peuvent s’allier avec des personnes juives, parce qu’ils partagent la même islamophobie et qu’ils jugent cette cause supérieure. Selon la même logique, des personnes profondément antisémites ou islamophobes s’allient parfois avec des personnes musulmanes sur la haine du juif. »

Pour l’extrême droite, l’anticonformiste est une force, pas une faiblesse. « Cela montre qu’ils sont prêts à dépasser ces contradictions pour gagner sur l’agenda racialiste », explique le chercheur Aurélien Mondon. « C’est le but du jeu pour eux. »

Selon les statistiques de l’Insee, la population d’immigrés vivant en France était de 6,8 millions en 2020, soit 10,2 % de la population totale.

Article traduit par David Rich – Pour lire l’article dans sa version originale (en anglais), cliquez ici

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