Frances Haugen veut se consacrer à l’éducation des jeunes aux réseaux sociaux, confie-t-elle dans une interview à l’AFP à l’issue d’un tour des capitales d’Europe où elle s’est escrimée à dénoncer son ancien employeur Facebook.
« Je veux continuer à me battre » pour que Facebook modifie ses pratiques d’hyper-amplification de contenus nocifs, explique la lanceuse d’alerte dans un grand hôtel parisien, entre deux rendez-vous d’un emploi du temps minuté et à la veille de repartir aux Etats-Unis.
« Je veux faire un tour des universités au premier trimestre », et « donner aux jeunes les outils » pour repérer les effets dangereux des réseaux sociaux, dit cette jeune femme blonde déterminée, au discours bien rôdé.
Après avoir claqué la porte de Facebook en mai, elle a transmis peu à peu des milliers de documents internes récoltés chez le géant qu’elle accuse de ne pas protéger ses utilisateurs. Elle est brusquement passée de l’ombre en pleine lumière cet automne avec un témoignage accablant et très médiatisé au Congrès américain contre son ancien employeur.
La matheuse et spécialiste des données veut désormais construire un « consortium » de chercheurs et de spécialistes indépendants pour bâtir des simulateurs de réseaux sociaux en laboratoire.
« C’est sur ma liste de Thanksgiving » – le traditionnel congé des Américains la semaine prochaine – de travailler à ce projet, sourit-elle.
Ces simulateurs, en logiciel libre, permettraient aux chercheurs et étudiants de mener des expérience sur la viralité des contenus.
– Investissement financiers judicieux –
Avec des simulateurs, les étudiants et chercheurs en algorithmie et science des données pourront « expérimenter et se dire +ah, c’est intéressant, voici comment on peut stopper la dissémination de mauvais contenus dans le réseau+ », explique-t-elle.
Frances Haugen témoigne lors d’une audience du Comité sénatorial du commerce, des sciences et des transports, le 5 octobre 2021, à Washington (POOL/AFP/Archives – Drew Angerer)
Face à Facebook, Frances Haugen assure poursuivre une action « de long terme ». « Peut-être qu’il faudra deux ans, peut-être qu’il faudra cinq ans », pour que le réseau social rende enfin des comptes, prévient-elle.
La jeune ingénieure, qui a su s’entourer d’une équipe de conseillers en communication, a acquis son indépendance financière grâce à des investissements financiers judicieux.
« J’ai vu la crise du Covid arriver. Je suis une spécialiste des données et des réseaux, j’ai vu que la crise allait être grave… et j’ai joué à la baisse » le marché boursier « juste avant » leur chute, raconte la lanceuse d’alerte.
Une partie des profits réalisés a été réinvesti dans les cryptomonnaies, qui ont franchi de nouveaux records.
« Même si je ne reprend plus de travail salarié, je peux utiliser les maths et probablement gagner ma vie juste avec les marchés », affirme-t-elle.
Le combat de Frances Haugen n’est pas d’affiner les techniques de modération de Facebook ni de chercher à mieux discerner les bons et les mauvais contenus. Il est plutôt de mettre fin à l’hyper-amplification des contenus, en contraignant le géant californien à révéler toutes ses données sur le sujet.
« Si Facebook était obligé de montrer ce qui ne va pas, alors il serait obligé de faire des changements », répète-t-elle.
– Ralentir la diffusion des contenus –
Pour elle, le réseau social doit reprendre une échelle humaine, par exemple en compliquant la rediffusion à l’infini des contenus. Obliger un utilisateur de Facebook à un geste volontaire – faire un copier coller, par exemple – pour rediffuser un contenu déjà partagé deux fois avant d’arriver chez lui « pourrait avoir autant d’effet sur la désinformation que l’ensemble du programme de vérification d’information » (fact-checking) de Facebook, assure-t-elle.
Frances Haugen témoigne au Parlement européen à Bruxelles, le 8 novembre 2021 (AFP/Archives – JOHN THYS)
Facebook pourrait aussi chercher à moins favoriser la formation de groupes aux millions d’abonnés, qu’elle a qualifié « d’usine à variants » lors de son audition à l’Assemblée nationale.
« Prenez un groupe d’un million de personnes ou de cinq millions de personnes, qui produit chaque jour 1.000 contenus. Si l’algorithme doit choisir trois de ces contenus pour les diffuser dans les fils d’actualité, ce sera habituellement les plus extrêmes », parce que ce sont ceux qui provoquent le plus de réactions, regrette-t-elle.
Et la lanceuse d’alerte de mettre en garde sur le « metavers », l’univers numérique parallèle où Facebook voudrait embarquer la population.
Si les gens passent leur temps dans un univers virtuel où ils ont « de meilleurs vêtements, une coupe de cheveux plus élégante et un appartement plus beau » que dans la réalité, quel effet cela aura-t-il sur leur santé mentale, demande-t-elle.
Et quid des « incitations à rester toujours plus longtemps dans son casque de réalité virtuelle ? ».
« Ce n’est pas dans cinq ans qu’il faut se poser la question, c’est dans trois mois », avertit l’ennemie publique numéro un de Facebook.
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