Au terme d’une mission de douze jours au Liban, Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, a dénoncé, vendredi 12 novembre, « l’inaction » des dirigeants face à l’appauvrissement rapide de la société.
Vous qualifiez la dégringolade libanaise de « crise fabriquée ». L’effondrement était-il évitable ?
La crise financière, résultat de l’écroulement d’une « pyramide de Ponzi », qui a conduit à la dévaluation brutale de la livre libanaise, était évitable. Mais le Liban fait face à trois autres crises, qui ont nettement affecté sa capacité à réagir : la présence massive de réfugiés syriens [depuis 2011], la crise liée au Covid-19 et l’explosion au port de Beyrouth [en août 2020]. De plus, la réponse politique n’est pas à la hauteur. Lors de mes rencontres avec les ministres, j’ai constaté, en général, que le réflexe consiste à demander un soutien accru de la communauté internationale, et parfois à identifier dans les réfugiés syriens [1,5 million, soit 25 % de la population] de commodes boucs émissaires. Or, il est urgent de mobiliser des ressources à l’intérieur du Liban : le pays peut améliorer la collecte d’impôts et le financement des services publics. Les réformes structurelles permettront au pays de rebondir et de dépendre moins de l’aide internationale.
Les dirigeants n’ont-ils pas pris la mesure de l’effondrement en cours ?
Je crois qu’ils sous-estiment le sentiment de la population d’être abandonnée et l’impatience de la communauté internationale, qui attend des réformes. Le gouvernement actuel n’a été formé qu’en septembre. Il est paralysé par l’enquête du juge Bitar [entravée par de multiples forces politiques, Hezbollah en tête] sur l’explosion au port, et par la crise avec les pays du Golfe [fin octobre, l’Arabie saoudite a retiré son ambassadeur et expulsé le représentant libanais]. J’ai eu l’impression que beaucoup de ministres travaillent chacun dans leur couloir – pour employer une métaphore de natation – et non en équipe. On a besoin d’un gouvernement qui fonctionne pour entreprendre des réformes, sans attendre les élections [prévues en 2022] ou le soutien financier du Fonds monétaire international.
Vous parlez d’améliorer la collecte fiscale, mais le pays n’a pas de système de taxation équitable, et la résistance à payer des impôts est diffuse…
Il faut changer la façon pour la population de s’en remettre à l’Etat. Le Liban n’a pas de système d’Etat-providence, et le ratio des impôts par rapport au PIB est très faible par rapport aux pays de la même catégorie. La première réforme doit être celle de la fiscalité : il s’agit à la fois qu’une plus grande part des revenus publics de l’Etat vienne des impôts directs sur la fortune et sur les sociétés, et que la part des impôts indirects, comme la TVA, soit réduite en proportion. Il faut un système beaucoup plus progressif de taxation.
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