Publié le : 12/11/2021 – 18:29
Alors que perdure le conflit entre le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed et les rebelles de la région du Tigré, les tensions ne cessent de croître entre Washington et son allié éthiopien, contre lequel un régime de sanctions est à l’étude.
La situation continue inexorablement de se détériorer en Éthiopie, théâtre d’une guerre sans fin opposant les forces progouvernementales aux rebelles tigréens. Alors que ces derniers ont pris l’avantage ces dernières semaines, le gouvernement a lancé une campagne à l’encontre des organisations internationales présentes dans le pays, désormais soupçonnées de collaborer avec l’ennemi intérieur.
Les Nations unies ont annoncé, mercredi 10 novembre, que 72 chauffeurs du Programme alimentaire mondial (Pam) étaient retenus dans une ville du nord du pays sur la seule route du Tigré. La veille, 16 employés éthiopiens de l’ONU ont été arrêtés dans la capitale Addis Abeba. Enfin, le 30 septembre, le gouvernement a ordonné l’expulsion de sept responsables d’agences des Nations unies accusés d’ »ingérence ».
Cette répression accrue intervient alors que les États-Unis, longtemps restés en retrait, ont entamé depuis quelques mois une offensive diplomatique pour mettre fin au conflit et préparé des sanctions. Des mesures perçues par l’Éthiopie comme une trahison de la part de l’un de ses plus proches alliés.
Sursaut américain
Le 2 novembre, Joe Biden a annoncé l’exclusion de l’Éthiopie de son pacte pour l’Afrique facilitant l’accès au marché américain (AGOA) à compter du 1er janvier. Une mesure dévoilée deux semaines après la mise en place par les États-Unis d’un régime de sanctions permettant de suspendre les avoirs et transactions financières des parties prenantes du conflit, dont la date d’application n’a pas été communiquée. Pour le président américain, l’évolution de la situation dans le nord du pays menace non seulement « la stabilité de l’Éthiopie et de la région de la Corne de l’Afrique » mais constitue désormais une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis ».
En mai déjà, la tension était montée d’un cran avec la mise en place par Washington de restrictions de visas à l’encontre d’officiels éthiopiens et érythréens accusés de n’avoir « pris aucune mesure significative pour mettre fin aux hostilités ». Le gouvernement éthiopien avait alors lancé un avertissement, s’estimant « contraint de réévaluer ses relations avec les États-Unis, ce qui pourrait avoir des implications allant au-delà de nos relations bilatérales ».
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L’Éthiopie, un allié stratégique
Si l’administration Biden souhaite désormais accentuer la pression sur les dirigeants éthiopiens ainsi que ses soutiens, il aura fallu attendre sept mois pour qu’elle mette en place des premières mesures concrètes. Car pour Washington, l’intervention militaire au Tigré a longtemps suscité l’embarras. « Les États-Unis voient un intérêt à entretenir de bonnes relations avec l’Éthiopie. Ils bénéficient ainsi d’un partenaire stratégique régional de confiance dans une zone dominée par l’Arabie saoudite et les Émirats dont ils se méfient », analyse Gérard Prunier, historien, spécialiste de la Corne de l’Afrique.
Considéré par Washington comme un important allié dans la lutte internationale contre le terrorisme, notamment du fait de sa proximité avec la Somalie, l’Éthiopie a activement participé aux missions de l’ONU en fournissant d’importants contingents de soldats. Les États-Unis, de leur côté, sont le plus grand donateur d’aide humanitaire dans le pays, par l’intermédiaire des agences onusiennes, pour un montant estimé à un milliard de dollars par an.
La déception Abiy Ahmed
Outre des réticences dues à des intérêts stratégiques, le manque d’initiative sur la question du Tigré traduit la sidération de la communauté internationale, qui avait beaucoup misé sur le Premier ministre Abiy Ahmed. Arrivé le 2 avril 2018 à la tête d’un pays en proie à une crise politique et miné par les conflits ethniques, le nouveau dirigeant avait entrepris des réformes pour se rapprocher du voisin ennemi érythréen. Une fois signé, l’accord de paix lui avait valu, le 11 octobre 2019, le prix Nobel.
Le plus jeune chef de gouvernement du continent africain devient alors un symbole courtisé par l’Occident. En mars 2019, Emmanuel Macron loue les réformes modernes et le courage du dirigeant avec qui il signe un accord de défense, suspendu en août dernier. Donald Trump, un brin jaloux du dirigeant éthiopien, tentera même de s’accaparer la responsabilité de l’accord de paix, affirmant que c’est lui qui aurait dû obtenir le Nobel, pour son implication dans les négociations.
« Les États-Unis ont soutenu l’arrivée du Premier ministre au pouvoir. C’est sûr que l’évolution de la situation les met en porte-à-faux mais ils ne sont pas les seuls. Beaucoup ont cru en lui », souligne Gérard Prunier. « Personne n’aurait pu imaginer que ce novice en politique qui promettait l’ouverture et la modernité se lancerait soudainement dans une guerre d’intégration totale jusqu’au-boutiste absolument incompatible avec la réalité de la diversité éthiopienne. »
Préparer la suite
À l’occasion du premier anniversaire du conflit au Tigré, l’ambassadeur américain Jeffrey Feltman, envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique, a publié une longue tribune expliquant qu’il n’était plus possible de continuer le « business as usual » avec le gouvernement éthiopien. « Le partenariat extraordinaire dont nous avons bénéficié n’est pas viable si le conflit militaire continue de s’étendre », a-t-il déploré, condamnant par ailleurs les blocages récurrents de l’aide humanitaire en direction du Tigré et exprimant son indignation quant à l’expulsion des sept représentant humanitaires de l’ONU. Une mesure d’une ampleur inédite, même sous la Syrie en guerre du président Bachar al-Assad, selon le diplomate.
« Les États-Unis ont fait preuve de beaucoup de patience. Il faut dire que leurs attentes vis-à-vis de l’Éthiopie sont modestes car celle-ci est loin de représenter une priorité pour eux comme peuvent l’être la Chine ou l’Iran », explique Gérard Prunier. « Mais ils n’ont plus confiance en Abiy Ahmed et espèrent retrouver ne serait-ce qu’un allié fonctionnel. En imposant des sanctions contre le gouvernement au moment où celui-ci semble en passe de perdre la bataille, ils envisagent l’après. »
Du côté du pouvoir en place, la pression américaine n’a jusqu’ici fait qu’enflammer un peu plus les élans patriotiques. « Si l’aide et les prêts nous privent de notre liberté, s’ils nous amènent à sacrifier notre liberté, nous ne sacrifions pas notre liberté », a déclaré dimanche la maire de la capitale, Adanech Abebe. Des propos applaudis avec ferveur par des dizaines de milliers de sympathisants rassemblés à l’appel du gouvernement.
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