LETTRE D’ÉTHIOPIE
Des jeunes coureurs suivent leur entraînement quotidien, sur les hauts plateaux de Bekoji (Ethiopie), en octobre 2021. NOÉ HOCHET-BODIN POUR « LE MONDE »
A Bekoji, la brume de l’aube ne s’est pas encore dissipée que l’unique stade de la ville est déjà pris d’assaut. Sur ces hauts plateaux éthiopiens, l’air est électrique. Des centaines de jeunes coureurs suivent leur entraînement quotidien, dans l’espoir de connaître, un jour, eux aussi, la destinée des grands coureurs de fond d’Ethiopie.
Sur la piste de terre, les tours et les foulées s’enchaînent pendant presque deux heures. On s’y double, on s’y croise, sous l’œil intransigeant des « coachs ». On évite aussi les vaches et les brebis venues brouter l’herbe fraîche héritée de la saison des pluies. La prière du matin, diffusée par l’église orthodoxe du quartier, résonne dans le stade. Les coureurs, eux, restent appliqués, matraquant le sol de leurs pas synchronisés, comme dans une bulle, coupés du tumulte de la guerre qui secoue le pays.
A Bekoji, située à 220 kilomètres de la capitale, Addis-Abeba, la course à pied est une religion. En témoigne l’impressionnant palmarès de cette ville de 30 000 habitants : dix-huit médailles olympiques, dont huit en or, et quinze titres de champion du monde d’athlétisme. Si la course de fond fait figure de sport national en Ethiopie, Bekoji est son temple, et ses athlètes, comme Kenenisa Bekele, Derartu Tulu et Tirunesh Dibaba, sont vénérés comme des dieux.
« Je me dois de transmettre mon expérience aux filles »
Le sifflet aux lèvres, Fatiya Abdi faisait hier partie de ces graines de champion. Elle s’entraînait aux côtés de la triple championne olympique Tirunesh Dibaba il y a encore quelques années. Lors de sa courte carrière d’athlète, Fatiya Abdi a même détenu le record national du 400 mètres féminin. « J’ai dû abandonner la compétition à cause d’une infirmité motrice, regrette-t-elle. Depuis, je me dois de transmettre mon expérience aux filles. »
Tous les matins, elle accompagne, entraîne, conseille ses « lionnes » : quarante adolescentes originaires de milieux modestes de Bekoji, sélectionnées pour suivre le programme de l’organisation caritative Girls Gotta Run. « A part les entraînements, elles sont surtout soutenues financièrement et scolairement », continue celle que tout le monde surnomme « coach Fatiya ». L’ONG ambitionne ainsi de faire baisser les mariages précoces et la déscolarisation dans les zones rurales.
Les jeunes filles partagent leur terrain d’entraînement des hauts plateaux avec les vaches de Bekoji (Ethiopie), en octobre 2021. NOÉ HOCHET-BODIN POUR « LE MONDE »
Ici, nul besoin de motiver les coureurs. Ils ont tous grandi dans le mythe de la course à pied dès leur plus jeune âge. Les visages de Kenenisa, Tirunesh, Derartu et les autres apparaissent partout. Leurs photos sont imprimées sur les tee-shirts et affichées sur les tuk-tuk. « Lors des Jeux olympiques et des championnats du monde, tout le monde se presse dans les magasins qui diffusent les courses à la télé », indique Fatiya Abdi.
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