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Le logo de la start-up américaine. WAVE
Dans la guerre que se livrent les opérateurs de paiement mobile en Afrique, la couleur a son importance. A Abidjan, derrière la grille de sa boutique orange et jaune, qui signale la vente de services Orange et MTN, Mariam Coulibaly, commerçante de 35 ans, se désole : « Les clients ne s’arrêtent plus, car ma devanture n’a pas de bleu ni le fanion avec le pingouin », les emblèmes de Wave désormais omniprésents dans les rues de la capitale économique ivoirienne. « Cela fait plus d’un mois que j’ai demandé un agrément, mais je n’ai toujours rien reçu, poursuit la vendeuse, dépitée. Ils me disent qu’ils sont débordés. »
La start-up créée il y a une décennie par deux Américains – Drew Durbin et Lincoln Quirk – est arrivée en Côte d’Ivoire en avril 2021. En six mois, elle s’est déjà taillé une belle place sur le marché, à en juger par le « buzz » que son arrivée suscite et les commentaires inquiets tenus en privé par certains de ses concurrents (non cotée en bourse, elle ne communique pas de chiffres).
Prenant le contrepied des grilles tarifaires complexes des opérateurs historiques, l’entreprise s’est distinguée en offrant à ses clients la gratuité des opérations de dépôt et de retrait d’argent, ainsi qu’un taux fixe de 1 % sur les transferts nationaux.
« L’écosystème bouillonnant des fintechs »
Orange, MTN et Moov, les trois grands opérateurs locaux, qui taxaient entre 3 et 10 % les transactions similaires, ont d’abord semblé hésiter face à cette vague bleue. Dans un premier temps, ils ont multiplié les offres promotionnelles sans pour autant baisser leurs prix dans la durée. Les consommateurs ivoiriens ont réagi sur les réseaux sociaux en menaçant d’abandonner leurs opérateurs traditionnels. Entre août et octobre, ceux-ci ont donc fini par s’aligner sur les tarifs mis en place par le nouveau venu.
Un scénario comparable s’était déroulé au Sénégal, où la start-up a débuté ses activités dès 2018, attirée notamment par « l’écosystème bouillonnant des fintechs », selon Coura Sène Tine, directrice générale de Wave dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. L’entreprise y a installé son siège social africain et fait son trou en cassant les prix, forçant Orange Money, son principal concurrent, à baisser de 80 % ses tarifs en juin 2021.
Cette stratégie offensive a d’abord ciblé les personnes utilisant essentiellement du cash, comme les agriculteurs ou les pêcheurs dans les zones rurales, avant de s’attaquer aux centres urbains. Sans vouloir divulguer des chiffres précis, Coura Sène Tine affirme qu’environ la moitié de la population adulte sénégalaise utilise déjà ses services.
Depuis, avec Orange, la guerre est déclarée. Les deux opérateurs n’ont jamais réussi à s’entendre sur un partenariat, Wave se retrouvant ainsi empêché de distribuer du crédit téléphonique Orange via sa plate-forme. Pour avoir gain de cause, la start-up a saisi en mars l’autorité de régulation des télécommunications, qui a tranché en sa faveur.
« Casser les prix »
La fintech fait de plus en plus parler d’elle, et pas seulement à cause de ces bisbilles étalées sur la place publique par voie de communiqués. Les projecteurs se sont à nouveau braqués sur elle après la conclusion, en septembre, d’une levée de fond record de 200 millions de dollars.
Comptant des investisseurs de premier plan à son tour de table (les américains Stripe ou Founders Fund, le fonds Partech Africa…), Wave atteint désormais une valorisation de 1,7 milliard de dollars. Elle intègre ainsi le club prestigieux des « licornes » (start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars), une première en Afrique francophone.
Wave est-elle là pour durer ? « Elle ne mise pas sur les gros montants mais sur le nombre de transactions effectuées. La stratégie, c’est de casser les prix, gagner des parts de marché puis de se diversifier sur le long terme », analyse Cheikh Ndiaye, consultant en fintech pour la Société financière internationale (SFI), la banche de la Banque mondiale consacrée au secteur privé.
En Côte d’Ivoire, l’autorité de régulation des télécoms a indiqué, dans un communiqué publié le 26 octobre, « se réjouir de la dynamique concurrentielle sur ce marché [du mobile money] qui concourt efficacement à l’inclusion financière de nos populations, dans un contexte marqué par la lutte contre la cherté de la vie ».
Près de 20 000 distributeurs en difficulté
Certains s’interrogent toutefois sur la viabilité d’un modèle qui risque de mettre des années avant de devenir rentable. D’autres craignent que la guerre des prix entre opérateurs affecte la valeur du marché et fragilise, par ricochet, ceux qui en dépendent.
Ainsi, Abdoulaye*, gérant d’une boutique multiservice du centre-ville de Dakar, remarque que la majorité des clients demandent aujourd’hui les services de Wave. « Mais ce n’est pas évident pour les entrepreneurs comme moi, car avec la gratuité du service, nous touchons moins de commissions, certains ont même dû fermer boutique. Wave s’est imposé et ne nous a pas laissé le choix », lance-t-il d’une traite.
« La valeur du marché a été divisée par quatre [au Sénégal] » depuis que les prix ont chuté sous la pression de Wave, affirme aussi Cheikh Tidiane Sarr, directeur d’Orange Money Sénégal. Selon lui, les distributeurs qui « n’ont pas les reins solides vont disparaître ». Ils seraient près de 20 000 dans le pays. Et les mêmes craintes s’expriment en Côte d’Ivoire, les commerçants spécialisés dans la monnaie électronique s’inquiétant d’une baisse de leurs revenus.
De son côté, Wave affirme que l’augmentation du volume des transactions permettra à chacun d’y trouver son compte. Pleine d’ambition, la start-up, qui vient de se lancer au Mali et en Ouganda, envisage désormais de se développer dans les transferts frontaliers entre les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Un marché où tout reste à construire.
Et l’entreprise américano-sénégalaise pourrait bien ne pas se limiter à l’activité de transfert d’argent. « Avec l’augmentation massive du nombre d’utilisateurs, Wave a accès à leurs données et donc à leurs comportements financiers. A terme, cela pourrait leur permettre de proposer d’autres services, comme du crédit digital, quitte à demander un agrément bancaire », anticipe Cheikh Ndiaye de la SFI.
De quoi étoffer la compétition avec Orange, même si les filiales du groupe français affichent leur sérénité. « Nous avons un écosystème de services très large qui n’a rien à voir avec celui de nos concurrents », indique Cheikh Tidiane Sarr, en allusion aux services de paiements en ligne et de microcrédit pour lesquels l’entreprise estime avoir un temps d’avance sur son rival américain. La bataille ne fait sans doute que commencer.
* Le prénom a été modifié
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