Créé, fin 2019, pour lutter contre les violences au sein de la famille, le bracelet anti-rapprochement est en déploiement sur toute la France depuis le début de l’année. Quelques centaines d’appareils sont actifs pour le moment mais le dispositif, qui n’a pas encore fait ses preuves sur le plan judiciaire, semble avoir besoin de temps pour gagner en efficacité.
“1, 2, 3, 4, 5, … 117”. Quand le député (LR) Aurélien Pradié se lance à l’Assemblée nationale, en octobre 2019, dans une énumération du nombre de féminicides en France, c’est pour mieux appuyer sa proposition de loi autorisant la mise en place du bracelet anti-rapprochement (BAR) pour les conjoints violents.
Depuis, la mesure a été soutenue par l’exécutif, votée puis mise en œuvre à partir de la fin de l’année 2020 – d’abord dans les juridictions d’Angoulême, Bobigny, Douai, Pontoise et Aix-en-Provence, et sur le reste du territoire depuis début 2021. Le dispositif a de quoi susciter de l’attente : en Espagne, où il existe depuis 2008, aucune femme porteuse d’une balise n’a été tuée par son ex-compagnon depuis la mise en place du BAR et les féminicides ont diminué.
“Le BAR a démontré son intérêt dans d’autres pays ces dernières années, et aujourd’hui il est en début de mise en place en France mais avec quelques ajustements nécessaires”, explique Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes, contactée par France 24.
Ce dispositif est destiné à tenir éloignés les conjoints et ex-conjoints violents via un dispositif de surveillance constante, par géolocalisation, pouvant donner lieu à l’intervention des forces de l’ordre en cas de danger. pic.twitter.com/grFaIuPPkG
— Ministère de la Justice (@justice_gouv) September 24, 2020
Le dispositif a une double fonction : il maintient l’auteur des violences à distance de la victime, le premier ayant un bracelet GPS attaché à la cheville quand la seconde porte avec elle en permanence un boîtier de téléprotection lui aussi géolocalisé. Selon la loi, la distance d’alerte qui sépare la victime de la personne placée sous contrôle judiciaire oscille entre 1 et 10 km – un périmètre décidé par le juge – et de 2 à 20 km pour la distance de pré-alerte.
Cette distance de sécurité pose parfois un problème technique, notamment en zone urbaine, quand une femme se trouve dans le même secteur que l’auteur des violences sans que l’un ou l’autre ne cherche cette situation. “Pour certaines femmes, la distance de sécurisation et d’éloignement est inadaptée et elles sont régulièrement alertées par le boîtier quand l’agresseur est dans le périmètre en question, ce qui a pour conséquence de les stresser”, précise Françoise Brié. “Il y a donc besoin d’améliorer ce dispositif pour qu’il soit efficace : sur le plan de la géolocalisation, par exemple, il faut que les distances soient suffisamment larges pour rassurer les femmes.”
Une expérimentation de bracelet qui n’a pas été menée à son terme
Comme toute technologie, le dispositif n’est pas infaillible. Le BAR – géré comme l’ensemble des bracelets électroniques par la société Thalès – a été défaillant le 25 octobre : pendant plusieurs heures, les autorités ont été dans l’incapacité de suivre les déplacements de 7 250 individus sous surveillance électronique, selon BFMTV, dont 350 équipés d’un bracelet anti-rapprochement. Mais les détenus n’ont pas pu avoir connaissance de ce souci, qui provenait d’un problème de communication entre le logiciel de gestion et les opérateurs téléphoniques.
Le nombre de BAR actuellement déployés sur le territoire n’est pas non plus satisfaisant, pour le collectif féministe #NousToutes. “379 dispositifs mis en place pour 230 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année en France, c’est un chiffre ridicule”, tranche Marylie, membre du collectif, contactée par France 24. “On ne peut pas se permettre de mettre en place des bracelets à une si petite échelle. Il y en a trop peu, et les magistrats ne se saisissent pas de cet outil là”.
Selon l’exécutif, un millier d’appareils sont à disposition de la justice pour l’année en cours. Mais le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait estimé en mai dernier, après le féminicide de Chahinez Boutaa en Gironde, que certains BAR “restaient dans les tiroirs” alors que “toutes les juridictions” en ont été dotées.
“Les magistrats n’ont aucune raison de ne pas utiliser un dispositif qui fonctionne”, explique Anne Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, contactée par France 24. Et elle poursuit : “Si c’est quelque chose qui favorise la réinsertion et évite la récidive, si cela fonctionne par rapport aux objectifs qu’on a dans l’exercice de nos fonctions, les magistrats n’ont aucune opposition de principe au bracelet anti-rapprochement. Mais on n’a pas cette information puisqu’il n’a pas été fait de bilan de l’expérimentation de ce dispositif.”
À la différence du téléphone grave danger – un autre dispositif de téléprotection, généralisé en 2014 après plusieurs années d’expérimentation, permettant aux victimes de violences conjugales ou de viol d’alerter les forces de l’ordre en cas de danger imminent –, le BAR a connu deux échecs avant sa généralisation : deux lois, votées, en 2010 et en 2017, prévoyaient une expérimentation du dispositif mais celle-ci n’a jamais été menée à son terme.
Accompagner les victimes et former les professionnels
Au-delà du côté technique, se pose aussi la question du suivi des victimes équipées d’un dispositif de téléprotection, que ce soit le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement.
“Il est nécessaire que les victimes soient accompagnées en amont par les associations spécialisées”, explique Françoise Brié, “qu’elles puissent bénéficier, avant la remise du dispositif, d’une évaluation, qu’elles soient soutenues et qu’elles soient ensuite suivies avec des entretiens et une analyse de la situation qui demande du personnel pour pouvoir gérer au cas par cas”.
En attendant que le BAR livre ses premiers résultats, et qu’il demeure un moyen complémentaire à d’autres dispositifs pour lutter contre les violences conjugales, la formation des professionnels – forces de l’ordre ou personnel judiciaire – reste primordiale. Le collectif #NousToutes privilégie cette approche “préventive” plutôt que des “mesures de répression” comme le bracelet anti-rapprochement une fois que les violences ont eu lieu.
“Il faut former les personnels qui accueillent les victimes de violences au sein du couple, les choses ne changeront pas tant que les forces de l’ordre ne seront pas formées sur ce sujet”, explique Marylie. Le collectif féministe a réalisé une enquête en ligne, en mars dernier, dont il est ressorti que “66 % des répondantes (ont fait) état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles”.
Outre la formation, “il faut aussi de l’éducation sur les violences dès le plus jeune âge”, conclut Marylie. “C’est un travail long qui doit être fait dès l’école primaire jusqu’au lycée et ensuite dans toutes les strates de la société”.
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