Mercredi, l’Algerie a accusé « les forces d’occupation marocaines au Sahara occidental » d’avoir tué trois de ses ressortissants alors qu’ils faisaient la liaison Nouakchott-Ouargla. Cet événement vient alimenter l’escalade en cours entre les deux rivaux maghrébins, dont les origines remontent aux accords d’Abraham normalisant notamment les relations diplomatiques entre Israël et le royaume chérifien. En échange, Rabat avait obtenu la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Semaine après semaine, la tension va crescendo entre le Maroc et l’Algérie. Les deux grandes puissances du Maghreb, qui entretiennent des relations de voisinage orageuses depuis plusieurs années, ont franchi une nouvelle étape, mercredi 3 novembre, après de graves accusations lancées par la présidence algérienne contre Rabat.
L’agence officielle de presse algérienne APS a relayé un communiqué dans lequel la présidence révèle que « trois ressortissants algériens ont été lâchement assassinés par un bombardement barbare de leurs camions alors qu’ils faisaient la liaison Nouakchott-Ouargla », un axe routier reliant la Mauritanie à l’Algérie en longeant le Sahara occidental.
« Plusieurs facteurs désignent les forces d’occupation marocaines au Sahara occidental comme ayant commis, avec un armement sophistiqué, ce lâche assassinat », souligne le texte, dans lequel Alger prévient que « leur assassinat ne restera pas impuni ».
De leur côté les autorités marocaines n’ont fait aucun commentaire officiel, tandis que l’armée mauritanienne a démenti dans un communiqué qu’une telle attaque se soit produite sur le territoire mauritanien.
« Un jeu diplomatique dangereux »
Même s’il faut attendre que toutes les parties concernées apportent des éclaircissements, cet événement s’inscrit dans la spirale négative dans laquelle s’enfoncent les deux pays, notamment en raison de l’épineux dossier du Sahara occidental. Une spirale qui remonte précisément à la fin août et l’annonce de la rupture par l’Algérie de ses relations diplomatiques avec son voisin marocain, qu’elle accuse « d’actions hostiles ».
Des accusations qui ont été renouvelées dimanche par le président algérien Abdelmadjid Tebboune au moment d’ordonner au groupe public Sonatrach de ne pas reconduire le contrat du gazoduc passant par le Maroc et alimentant l’Espagne en gaz.
« Il y a là, incontestablement, un degré supplémentaire dans la montée des tensions diplomatiques entre les deux puissances régionales, note Béligh Nabli, maître de conférences en droit public, chercheur associé au Ceri et auteur de ‘Géopolitique de la Méditerranée’ (Armand Colin, 2015). Ce jeu diplomatique est dangereux, il pourrait bien glisser et prendre une dimension militaire sur la base de ce type d’incident. »
Le « game changer » de Donald Trump
Pour les experts, le « game changer », l’événement qui a changé la donne, et qui est donc à l’origine de la dégradation de la situation, a été la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, le 10 décembre 2020.
Depuis 1963, le Sahara occidental est considéré comme un territoire non autonome par l’ONU, alors qu’il est disputé depuis plus de 45 ans entre Rabat et les indépendantistes sahraouis, soutenus par l’Algérie.
Seul territoire du continent africain au statut postcolonial non réglé, depuis le retrait de l’Espagne en 1975, il est contrôlé à 80 % par le Maroc, qui rejette toute autre solution que l’autonomie sous sa souveraineté, et à 20 % par le Front Polisario, qui réclame un référendum d’autodétermination. Jusqu’ici, toutes les tentatives de règlement du conflit ont échoué.
« L’équilibre géostratégique régional a été bouleversé par la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur l’ensemble du Sahara occidental par l’administration Trump, estime Nasser Weddady, chercheur et consultant spécialisé dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, invité de l’antenne arabe de France 24. Cette reconnaissance a provoqué un choc pour toutes les parties, qui ont eu besoin d’un certain temps pour se repositionner. »
Donald Trump, dont la décision, qualifiée à l’époque de « prise de position historique » par Rabat, avait ulcéré le Front Polisario et l’Algérie, a annoncé le même jour la normalisation des relations entre le royaume du Maroc et Israël.
Et ce, comme l’avaient fait d’autres pays arabes dans le cadre des accords dits d’Abraham, menés par la Maison Blanche. La question de cette normalisation avait été évoquée en février 2020, à l’occasion d’une visite officielle au Maroc de Mike Pompeo, alors chef de la diplomatie américaine. À l’époque, des médias israéliens laissaient entendre que les Marocains seraient prêts à franchir le pas en contrepartie d’un soutien de Washington sur la question du Sahara occidental.
« La signature des accords d’Abraham à l’hiver 2020 a très certainement contribué à mettre le feu aux poudres, expliquait récemment à France 24 Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine du Maghreb à l’université Paris I. Cet accord multilatéral signé par le Maroc, les États-Unis, Israël et les monarchies du Golfe a eu pour conséquence la reconnaissance, par Washington, de la marocanité du Sahara. Pour l’Algérie, c’est clairement un casus belli. »
Un avis que partage Béligh Nabli. « Cette transaction, une forme de marchandage, entre d’un côté le Maroc et les États-Unis et Israël a été perçue à Alger comme une agression politique qui a lancé un engrenage diplomatique menant à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, à l’initiative des Algériens », souligne-t-il.
La guerre, une « ligne rouge » pour tous les acteurs ?
Alors que la fracture s’aggrave entre les deux rivaux maghrébins, sur fond d’antagonisme régional, les risques d’une déflagration militaire semblent pour l’instant contenus.
« Une source marocaine informée », citée et présentée ainsi par l’AFP, a indiqué mercredi, en réaction aux accusations algériennes, que « si l’Algérie veut la guerre, le Maroc n’en veut pas ». Et d’ajouter, en déplorant des « accusations gratuites » contre Rabat : « Le Maroc ne se laissera pas entraîner dans une guerre avec l’Algérie. »
Pour Béligh Nabli, le Maroc n’a pas intérêt à entrer dans une spirale militaire, parce que le royaume est en train « d’engranger des succès diplomatiques, qui nourrissent précisément les velléités algériennes ».
Le dernier succès en date est intervenu le 29 octobre, avec l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU prolongeant d’un an la mission Minurso au Sahara occidental. Le texte, qui appelle également « les parties (…) à s’abstenir de toute action qui pourrait saper les négociations menées par l’ONU ou déstabiliser davantage la situation au Sahara occidental », a été salué par Rabat comme une victoire, le royaume chérifien estimant que cette résolution onusienne répond à « l’agitation des adversaires du Maroc ».
De son côté, le ministère algérien des Affaires étrangères a indiqué dans un communiqué que « l’Algérie ne soutiendra pas cette résolution partiale qui a pour effet de conforter les prétentions exorbitantes de l’État occupant [le Maroc, NDLR] ».
« Aucun acteur n’a intérêt à l’escalade dans la région, car personne n’a intérêt à déclencher une guerre, c’est une ligne rouge pour tout le monde, conclut Nasser Weddady. Il est souhaitable que tous les acteurs du conflit reviennent vers la voie politique afin de trouver une solution qui puisse satisfaire toutes les parties, et ce, même si cela paraît impossible à court terme. »
C’est à cela que devra s’atteler le chevronné diplomate italien Staffan de Mistura, nouvel émissaire de l’ONU, qui a pour tâche de relancer la médiation onusienne depuis le 1er novembre.
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