Les bouleversements climatiques en cours au Moyen-Orient, où les enjeux géostratégiques passent avant les problématiques environnementales, semblent changer la donne. Au point que certains acteurs de la région cherchent à coopérer pour lutter efficacement contre un phénomène qui fragilise l’ensemble des pays.
À l’occasion de la COP26, qui s’est ouverte en début de semaine à Glasgow en Écosse et lors de laquelle les dirigeants de la planète sont censés concentrer leurs efforts pour lutter contre le réchauffement climatique, l’heure est à la coopération régionale en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient.
Les bouleversements climatiques en cours sont en train de réveiller quelques consciences dans cette région tourmentée du monde, où les multiples conflits et tensions géostratégiques ont coutume de reléguer au second plan les problématiques environnementales des priorités gouvernementales. Et où les émissions de gaz à effet de serre sont désormais supérieures à celles de l’Union européenne.
« Nous devons agir collectivement, de manière décisive et sur la base de connaissances scientifiques », a plaidé, mardi 2 novembre, Costas Kadis, le ministre chypriote de l’Environnement.
Costas Kadis s’exprimait lors d’une session tenue dans le cadre de la COP26, durant laquelle il a annoncé l’organisation, en février 2022, d’une réunion au niveau ministériel des pays de la région destinée à valider un plan d’action décennal de coopération sur le climat.
Les chefs d’État concernés devraient ensuite se réunir au début de l’automne à Chypre pour ratifier son programme de mise en œuvre, a-t-il précisé. Cette étape finale viendra couronner les efforts de Chypre, à l’origine de cette mobilisation avec le lancement de l’Initiative sur le changement climatique de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient (EMME-CCI), en 2019.
Le pays a également accueilli, mi-octobre à Paphos, la Conférence internationale sur le changement climatique en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient. Une conférence à laquelle ont notamment assisté des responsables, des délégués et des scientifiques égyptiens, saoudiens, omanais, palestiniens, libanais, jordaniens et israéliens, et dont les conclusions ont été présentées mardi à Glasgow.
Une « zone à risque du changement climatique »
Le plan d’action, baptisé « Cadre politique et mesures pour la crise climatique dans la région de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient », met l’accent sur le développement durable vert, la protection de la biodiversité et le développement de la recherche et des technologies.
Autant de sujets critiques pour le Moyen-Orient, une région classée comme « zone à risque du changement climatique » par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et déjà fragilisée par l’augmentation des vagues de chaleur et une croissance démographique galopante pesant sur ses faibles ressources en eau.
Cet été, les températures ont dépassé les 50 °C au Koweït, à Oman, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, en Irak et en Iran.
Sans réaction, la situation peut rapidement empirer, un peu plus rapidement qu’ailleurs selon les scientifiques. « Il est probable que la plupart des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Mena) seront confrontés à des risques liés aux changements climatiques et environnementaux potentiellement plus grands que d’autres régions du bassin méditerranéen, tandis que leur capacité à surveiller les paramètres environnementaux importants ou à réaliser des analyses de risques adéquates est limitée », a estimé l’organisation Mediterranean Experts on Climate and Environmental Change, qui a publié l’an dernier son « Premier rapport d’évaluation sur la Méditerranée ».
Une diplomatie axée sur la coopération
Alors que de nombreux pays du Moyen-Orient n’ont toujours pas ratifié l’accord de Paris, comme l’Iran, l’Irak et le Yémen, certaines puissances, accusées de ne faire aucun effort en matière climatique, ont commencé à prendre des mesures. Dans le Golfe notamment, où les économies des pétromonarchies, toujours dans le viseur des ONG écologistes, restent très dépendantes de l’exploitation des hydrocarbures.
L’Arabie saoudite, qui cherche à diversifier son économie, a annoncé la semaine dernière viser la neutralité carbone d’ici à 2060. Elle marche dans les traces des Émirats arabes unis, qui ont lancé une stratégie écologique à l’horizon 2050. Celle-ci vise notamment à faire passer la part des énergies propres de 25 à 50 % et à réduire de 70 % l’empreinte carbone de la production d’électricité.
Des pays de la région semblent aussi miser sur la coopération, estimant que des efforts coordonnés et internationaux pourront avoir un plus grand impact régional. Une vision traduite dans une sorte de diplomatie climatique déjà en vigueur entre des États du Moyen-Orient. Notamment entre Israël, disposant de technologies de pointe et largement en avance en la matière, et quelques pays arabes.
Et ce, même si les vieux réflexes restent de mise : fin juillet, après la colère d’ONG, le gouvernement israélien a été contraint de reporter la mise en œuvre d’un projet d’accord de transport de pétrole avec les Émirats arabes unis pour des raisons écologiques.
Toujours est-il qu’il y a quelques mois, en juin, l’université de Tel Aviv et les Émirats arabes unis – qui avaient annoncé la normalisation de leurs relations avec l’État hébreu à l’été 2020 – ont indiqué qu’ils allaient créer un institut de recherche conjoint sur l’eau.
Plus récemment, en octobre, la Jordanie, un des pays les plus déficitaires en eau au monde, a signé un accord pour doubler la quantité d’eau fournie par les Israéliens, leaders mondiaux en dessalement. Dans le cadre de cette diplomatie climatique, Israël pourrait s’approvisionner en électricité verte d’origine solaire auprès des Jordaniens.
Cet accord « reflète la compréhension grandissante que la crise climatique qui affecte déjà lourdement la région doit conduire à une plus grande coopération », s’était félicité Gidon Bromberg, directeur pour Israël de l’ONG environnementale régionale EcoPeace Middle East. Faisant remarquer dans les colonnes du Guardian que « l’électricité n’a jamais traversé la frontière israélienne depuis un pays voisin », il a appelé à un « Green Deal » au Moyen-Orient.
Lutter contre le réchauffement pour prévenir les tensions futures ?
Cette diplomatie climatique reste exceptionnelle et balbutiante. Le Premier ministre palestinien Mohammad Chtayyeh a ainsi déclaré, lors d’un discours prononcé lundi à Glasgow, que l’occupation israélienne est « la plus grande menace pour l’environnement palestinien ».
Mais cette diplomatie peut servir à prévenir et à se prémunir contre les conséquences de futurs conflits autour de la raréfaction de l’eau et des hausses des températures rendant inhabitables certains territoires, alors que des tensions existent déjà autour de la gestion des ressources hydriques des fleuves de l’Euphrate ou encore du Tigre.
« C’est une région déjà sèche qui va s’assécher, donc il y aura de l’insécurité liée à l’eau et le déplacement de populations », a récemment prévenu Jeffrey Sachs, à la tête du Réseau des solutions pour un développement durable des Nations unies (UNSDSN), cité par l’AFP.
En juillet, de nombreuses villes de la province iranienne du Khouzestan, dans le sud-ouest du pays, ont été le théâtre de multiples grèves et de manifestations contre les pénuries d’eau, pour la consommation quotidienne mais aussi pour l’agriculture et l’élevage. Des manifestations réprimées dans le sang par les autorités iraniennes.
« Pour les conflits, l’impact du futur changement climatique reste plutôt spéculatif, juge de son côté l’organisation Mediterranean Experts on Climate and Environmental Change. Toutefois, l’expérience historique récente montre la possibilité qu’un changement climatique important et rapide puisse exacerber davantage l’instabilité politique dans les régions les plus pauvres du bassin méditerranéen. »
Un facteur supplémentaire de déstabilisation dont pourrait se passer plusieurs pays du Moyen-Orient.
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