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À Médenine, dans le sud de la Tunisie, des migrantes violées en Libye tentent de se reconstruire (4/7)

À Médenine, ville désertique du sud de la Tunisie, une association vient en aide aux femmes migrantes qui ont été battues, souvent violées, dans les prisons du pays voisin. Nombreuses sont celles qui sont tombées enceintes de leur bourreau. Ici, au calme, loin de « l’enfer libyen », elles tentent de se reconstruire avec leurs enfants issus de ces relations forcées.

Leslie Carretero, envoyée spéciale en Tunisie.

Des cris et des rires d’enfants résonnent depuis la rue. La cour de la Maison des associations à Médenine est en pleine effervescence. Aminata*, Coumba*, Divine, Awa* bavardent avec d’autres femmes autour de la balançoire et du trampoline. Entre deux discussions, elles jettent un œil à leurs progénitures qui jouent dans l’aire de jeux réservée aux plus jeunes.

Une légèreté qui détonne avec le parcours chaotique de ces mères de familles. La majorité de ces femmes ont été violées en Libye. Ici, à Médenine, dans cette ville du sud de la Tunisie à l’entrée du désert, elles trouvent un peu de réconfort. La Maison des associations – gérée par huit associations – les accueille chaque jour avec leurs enfants, souvent issus d’une relation non consentie.

Abdallah dirige la Maison des associations de Médenine. Crédit : InfoMigrants

La plupart de ces femmes ont pris la mer depuis les côtes libyennes pour rejoindre l’Europe. Leur embarcation a dérivé au large de la Tunisie, et elles ont été secourues par les garde-côtes tunisiens.

Coumba déambule dans la salle de réunion, des pâtisseries dans les mains. Son bébé d’un peu plus d’un an est accroché à son dos. « Le père ? Je suis tombée enceinte en prison en Libye… Ça, c’est une autre histoire », élude cette Guinéenne de 31 ans, sans donner plus de détails.

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Entre elles, les femmes évoquent rarement leur passage dans ce pays décrit par beaucoup comme « l’enfer sur terre ». Aminata, assise un peu plus loin, a en revanche envie de parler. Ce jour-là, elle nous entraînera dans une petite pièce, loin des regards. Pendant son séjour de deux ans dans le pays, elle a passé un an et demi en détention. « J’ai fait 9 prisons là-bas ».

« Ils nous violent, on les entend rire et se moquer »

Elle montre du doigt sa dernière fille d’un an et demi qui ne s’éloigne jamais très loin – ses trois autres enfants sont restés en Côte d’Ivoire avec ses parents. « Elle est née dans une prison libyenne », dit-elle pudiquement. « Je l’aime malgré tout, elle n’y est pour rien ». En Libye, les femmes emprisonnées sont victimes de violences sexuelles perpétrées par les gardiens des prisons clandestines ou officielles.

Je ne peux même vous dire combien de fois j’ai été violée, c’est incalculable

« Ils [les gardes, ndlr] viennent nous chercher dans les cellules et nous emmènent à l’extérieur. Ils nous violent devant les autres hommes. On les entend rire et se moquer en arabe, car ils savent qu’après ce sera leur tour de nous passer dessus », détaille Aminata. « Je ne peux même pas vous dire combien de fois c’est arrivé, c’est incalculable ».

Parfois, Aminata s’arrête de parler quelques secondes. Ses yeux se remplissent de larmes. Elle reprend son souffle. « Quand je raconte ce que j’ai vécu, je revis la scène. Lorsqu’il j’y repense, j’ai envie de mourir », se justifie-t-elle. Sa sœur passe une tête dans la salle. « Elle aussi a eu deux filles en Libye », souffle-t-elle en la regardant.

La Maison des associations permet à Aminata de s’évader de temps à autre. Des ateliers de langue, de couture, de coiffure, d’informatique ou de cuisine lui sont proposées, à elle et à toutes les autres. « On n’a rien à faire au foyer [de l’Organisation internationale des migrations, ndlr], ici au moins on s’occupe et on ne pense à rien. Quand on a su que ça existait, on a sauté sur l’occasion », explique l’Ivoirienne de 33 ans logée dans un centre de l’agence onusienne en périphérie de la ville.

Mariam donne des cours de couture à des femmes migrantes. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants

Un service de garderie s’occupe aussi des enfants pendant que les parents suivent une activité. « Ce n’est pas toujours évident de donner des cours à cette population car beaucoup ont du mal à se concentrer. Ils sont présents physiquement mais leur esprit est ailleurs. Ils ont trop de problèmes en tête et leur passage en Libye a laissé des traces », confie Mariam, professeure de couture.

« Je veux partir d’ici »

Fatiguées par l’exil, plusieurs femmes ont tenté d’abandonner leur rêve de rejoindre l’Europe. Elles ont demandé l’asile auprès du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) en Tunisie. Bien que signataire de la Convention de Genève relative aux réfugiés, Tunis ne s’est pas doté d’un cadre légal national nécessaire à son application. Les questions d’asile et de protection sont donc déléguées au HCR.

Awa a voulu s’installer à Médenine. Partie de son Cameroun natal en 2017, elle vit en Tunisie depuis deux ans après un long séjour en Libye. Elle a déposé une demande d’asile mais son dossier a été rejeté. Elle attend la réponse à son recours.

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Quand elle raconte son quotidien à Médenine, cette mère de 34 ans ne peut contenir son chagrin. « J’ai mal au nerf sciatique, je ne peux pas travailler. Je ne peux plus payer mon loyer depuis trois mois », dit-elle, en sanglotant. « J’ai essayé mais je n’arrive pas à construire ma vie ici. Je veux partir ».

Divine aussi a le cœur lourd. Assise sur une chaise en plastique dans la cour, elle débite son histoire, comme si elle ne voulait rien oublier. À certains moments, ses mains se mettent à trembler et la tristesse assombrit son visage. Elle a fui le Nigéria en 2014 en raison de son homosexualité et ne parvient pas à trouver la paix en Tunisie.

« J’ai des cicatrices partout, regardez les marques sur mon corps »

Installée en Libye pendant cinq ans, elle a eu trois enfants avec un Nigérian. « J’ai trop souffert dans mon pays alors pendant longtemps j’ai caché mes préférences sexuelles », explique la mère de 40 ans. Divine ne voulait pas rejoindre l’Europe à son arrivée mais la situation en Libye a changé ses plans. « J’ai été kidnappée par des milices, un jour, j’ai tenté la traversée de la Méditerranée ». Elle met en pause son récit et soulève les manches de son pull jaune. « J’ai des cicatrices partout, regardez les marques sur mon corps ».

Divine pose avec deux de ses enfants dans la cour de la Maison des associations. Crédit : Dana Alboz

Récupérée en mer avec ses enfants par les garde-côtes tunisiens en 2019, elle a demandé l’asile. Mais « malgré les preuves de [son] orientation sexuelle », son dossier a été débouté l’an dernier. Comme Awa, Divine a déposé un recours et attend la réponse. « Je me sens en danger ici, c’est dur de commencer une nouvelle vie en Tunisie », affirme-t-elle.

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Les humanitaires qui travaillent à la Maison des associations se sentent bien seuls dans leur combat. Il n’existe en Tunisie aucune politique d’immigration et d’intégration. « On fait ce qu’on peut. On les aide à sortir de leur situation compliquée en leur trouvant du travail et en les épaulant dans leurs démarches administratives car personne ne leur explique la marche à suivre. C’est difficile, chaque jour, on a des cas exceptionnels », assure Abdallah Saïd, le président de la structure.

Pour Aminata, comme les autres femmes du centre, le quotidien en Tunisie reste une épreuve. « La seule différence est qu’ici il n’y a pas de viols et de bastonnades, sinon c’est pareil. La Tunisie nous tue à petit feu ». La discussion s’arrête, un cours d’anglais a commencé dans la pièce d’à côté, les élèves ont besoin de calme pour se concentrer. Aminata, elle, repart au foyer de Médenine, épuisée. « Je n’avais jamais raconté ma vie en Libye, ce n’était pas facile mais j’ai l’impression que ça m’a fait du bien ».

*Les prénoms ont été modifiés.

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