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En Tunisie, la ville de Zarzis submergée par les cadavres de migrants

La ville de Zarzis dans le sud de la Tunisie prend en charge l’immense majorité des corps de migrants rejetés par la mer sur les différentes plages du sud du pays. Un fardeau pour la petite municipalité qui dit manquer de moyens. Deux cimetières d’exilés sont aujourd’hui visibles à Zarzis. Ils comptent à eux deux près de 1 000 corps, et arrivent à saturation.

Leslie Carretero, envoyée spéciale en Tunisie.

« C’est devenu une habitude, c’est à Zarzis de s’occuper des morts ». Mekki Larayedh, le maire de la ville côtière du sud de la Tunisie, semble un brin agacé. L’édile ne supporte plus que sa commune soit devenue au fil des années le lieu de sépulture des cadavres de migrants rejetés par la mer.

Partis de Libye ou parfois de Tunisie, de nombreux migrants font naufrage en mer Méditerranée. Leurs corps sont repêchés au large, ou s’échouent sur les plages du sud tunisien en raison des courants marins.

Et Zarzis n’accueille pas seulement les milliers de corps retrouvés le long de ses côtes. La ville prend aussi en charge ceux récupérés dans tout le pays. Y compris aux frontières. Fin octobre, un Africain subsaharien est mort à la lisière de l’Algérie et de la Tunisie. La région a demandé à Zarzis de s’occuper de son inhumation. « C’est pas à nous de gérer les dépouilles de toute la Tunisie », peste Mekki Larayedh. 

Le cimetière des inconnus, à Zarzis, compte environ 500 corps de migrants. Crédit : InfoMigrants

En Tunisie, les municipalités sont réticentes à accueillir les cadavres des exilés. Beaucoup arguent qu’elles manquent de places. Des exceptions existent : quelques cadavres ont bien été enterrés dans certains cimetières du pays mais la démarche reste exceptionnelle.

Des cadavres déchargés depuis des bennes à ordures

Que faire alors des corps de migrants dont personne ne veut ? En 2005, la municipalité de Zarzis a créé le cimetière des inconnus sur une ancienne décharge éloignée du centre-ville, dans une zone désertique. En 15 ans, au moins 500 corps y ont été enterrés, même si le nombre est difficile à estimer tant le lieu a été fait à la hâte.

« Il y a quelques années, on voyait des bennes à ordures de la mairie décharger les cadavres dans des fosses communes, sans en prendre soin, comme si c’était des déchets. Les morts étaient ensuite recouverts de terre », se souvient Mongi Slim, responsable du Croissant-rouge tunisien, en regardant le terrain désormais recouvert de grillages.

Les employés de la mairie ne sont pas formés à manipuler les dépouilles, parfois en décomposition, et ne possède aucun équipement particulier : ni combinaison, ni paire de gants, ni camions frigorifiques. C’est donc dans des camions-poubelles que sont transportés les corps.

>> À (re)lire : Des associations s’alarment de la mauvaise prise en charge des dépouilles de migrants en Tunisie

Choqué par ce traitement, le pêcheur Chamesddine Marzoug a pendant longtemps enterré lui-même plusieurs défunts. « Je voulais redonner leur dignité à ces morts », confie-t-il, attablé dans un bistrot de Zarzis, cigarette dans une main et un café dans l’autre.

Pendant une dizaine d’années, un système D est mis en place. Chamesddine entretient le cimetière, arrose les plantes, se recueille aussi parfois. « Il prenait ma voiture personnelle et creusait les tombes », explique encore Mongi Slim du Croissant-Rouge.

La tombe de Rose-Marie est la seule portant une inscription. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants

Dans le cimetière, seule la date de la mise en bière est mentionnée. Faute d’informations, les noms des cadavres ne sont pas inscrits, à l’exception d’une tombe. Celle de Rose-Marie, une femme originaire du Nigéria. Le reste du cimetière est peu entretenu : difficile aujourd’hui de savoir où se trouvent les corps, tant ils sont nombreux et inhumés sans emplacements précis. Le lieu, poussiéreux, ne compte ni allées ni repères géographiques.

L’absence de marquage laisse penser que le cimetière n’a pas atteint sa capacité d’accueil. Au fond de l’enceinte, le sol parait vierge et aucun élément n’indique la présence éventuelle de cadavres. « Là-bas ? Si, il y a des corps. On ne s’en rend pas compte mais il y en a partout », assure Mongi Slim.

Des cimetières saturés

Récemment, d’autres citoyens ont donc choisi de s’impliquer pour offrir une dernière demeure plus décente aux migrants morts en mer. Au mois de juin dernier, l’artiste algérien Rachid Koraïchi a ouvert un autre cimetière, non loin du premier existant. Il a investi toutes ses économies et a pris un crédit pour entretenir le lieu.

« J’ai commencé à me mettre sur ce projet en 2018. C’était important pour moi car je connais la souffrance des familles qui perdent un proche ». L’artiste de 74 ans, exposé à Londres, New-York ou Paris, a lui-même perdu un frère, emporté par le courant lors d’une baignade en Méditerranée.

Le cimetière « Jardin d’Afrique » de l’artiste algérien Rachid Koraïchi a été inauguré le 6 juin 2021. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants

La différence entre les deux cimetières est notable : si le premier, sommaire, n’est constitué que de terre, le second, baptisé « Jardin d’Afrique », est un véritable projet artistique. Réalisé avec davantage de moyens, il est doté d’une porte traditionnelle du XVIIe et d’allées de céramiques peintes à la main. Cinq oliviers et 12 pieds de vigne bordent les artères, en référence aux cinq piliers de l’islam et aux 12 apôtres de la religion chrétienne.

Le lieu est paisible. Ce jour-là, le soleil illumine les tombes, peintes en blanc où sont inscrites les quelques informations récoltées. « Hôtel villa Azur [lieu où a été retrouvé le cadavre, ndlr]. Homme enterré le 2 juin 2021 », « Aghir, 2019, bébé », peut-on lire sur deux d’entre elles.

Une morgue a été construite et un médecin légiste devrait bientôt s’installer sur le site. Jusque-là, les prélèvements d’ADN se faisaient à Gabès, à deux heures de route de Zarzis.

En cinq mois d’existence, le cimetière est déjà proche de la saturation. Environ 500 cadavres ont été enterrés, dont ceux d’enfants, pour une capacité de 800 places. Une centaine de corps attendait toujours fin octobre à la morgue de Gabès et environ 80 dans celle de Sfax, à 300 km de Zarzis.

L’artiste algérien Rachid Koraïchi a investi toutes ses économies pour construire le nouveau cimetière. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants

« Le Jardin d’Afrique sera bientôt plein. Que fera-t-on quand ce sera le cas ? », s’interroge le maire de la ville. Mekki Larayedh réclame l’aide du gouvernement et de la communauté internationale. « On n’a pas les moyens de gérer ça. Entre le transport des corps à l’hôpital, la prise d’ADN à Gabès, le transfert à Zarzis et l’enterrement, on ne s’en sort pas », assure l’édile. « Il est déjà arrivé qu’on ramasse 100 cadavres en une seule journée, c’est ingérable pour les services municipaux ».

Rachid Koraïchi espère pouvoir bientôt doubler la superficie de son cimetière. Il cherche encore des fonds pour acheter le terrain d’à-côté. « Si vous avez de l’argent, je suis preneur », répond l’artiste algérien quand on lui demande la date de l’agrandissement du lieu. Une chose est sûre, la question des dépouilles des migrants est loin d’être réglée dans la région.

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