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La Russie et le mythe du changement climatique heureux

Une moissonneuse russe à l’heure de la récolte des cultures céréalières, à Prokhorovo, un village à 45 kilomètres au nord de Moscou, en août 2021. YURI KADOBNOV / AFP

L’avenir de l’humanité se trouve-il quelque part au fin fond de la Iakoutie (aujourd’hui appelée Sakha), l’une des régions les plus froides du monde ? Plus précisément à Viliouïsk, localité située à huit heures de route de la capitale régionale, Iakoutsk ? A cet endroit où les températures tombent en hiver sous les 50 OC, on a récolté pour la première fois, au cours de l’année 2020, du blé, de l’orge et de l’avoine. Dix-sept tonnes de grain en tout, indique Pavel Inokientev, le chef du département de l’agriculture du district, joint par téléphone. « On a pu goûter pour la première fois du pain intégralement iakoute, s’enorgueillit-il. Et on envoie une partie de notre farine vers d’autres régions. » L’année 2021 devrait être encore plus riche, avec 28 tonnes récoltées et une surface cultivée étendue à 60 hectares.

A l’heure où le réchauffement climatique suscite des angoisses sur la planète entière, le « succulent » pain de Viliouïsk, même fruit d’un investissement démesuré, a de quoi alimenter bien des fantasmes. Le district avait déjà mené des expérimentations agricoles, au début des années 1960, mais avec des résultats beaucoup plus modestes. « A l’époque, il faisait
– 5 OC fin septembre
, explique M. Inokientiev. Aujourd’hui [à la même époque de l’année], nous sommes au-dessus de 5 OC. »

La vision russe reste influencée par l’idée des « avantages » que le pays peut espérer tirer du réchauffement climatique, en dépit des inondations et des incendies

Combien de millions d’hectares, combien de régions autrefois inhospitalières pourraient devenir les greniers à blé de demain ? La question n’est pas seulement stratégique pour la Russie, redevenue ces dernières années un géant agricole. Elle interroge les scénarios de développement à l’échelle mondiale, pour les décennies à venir. « Pourquoi le réchauffement climatique ne deviendrait-il pas l’avantage comparatif de la Russie au XXIe siècle ? », interroge Alexandre Tchernokoulski, membre de l’Académie des sciences de Russie et chercheur à l’Institut de physique de l’atmosphère. En 2003, Vladimir Poutine avait posé l’équation dans des termes encore plus simples : « Il fera deux ou trois degrés de plus… Ce n’est pas dramatique, et c’est peut-être même bien : on dépensera moins en fourrures. »

Depuis, la position du président russe a certes évolué. Mi-octobre, dans la perspective de la COP26 de Glasgow, M. Poutine a même opéré un virage à 180 degrés en fixant l’objectif ambitieux – mais sans plan d’action ni objectif intermédiaire – d’une Russie atteignant la neutralité carbone en 2060. Mais la vision russe reste influencée par l’idée des « avantages » que le pays peut espérer tirer du réchauffement climatique. Dans le discours public, ceux-ci sont presque aussi présents que la recension, désormais routinière, des événements climatiques extrêmes – inondations, sécheresses et surtout incendies massifs (cet été, une surface plus grande que le Portugal a brûlé en Iakoutie).

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