La vie paraît douce à Damas, capitale d’un pays déchiqueté par dix ans de guerre. Tout va si bien que le bureau syrien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) peut se lancer dans une chorégraphie filmée. S’élancer sur un toit et y danser, tout sourire, au son d’une musique latino. Même sa représentante, la Turkmène Akjemal Magtymova, s’y prête. La mise en scène se termine avec un drapeau de l’ONU ou de la Syrie à la main.
Cette vidéo, diffusée le 27 octobre sur les réseaux sociaux, était censée célébrer la Journée des Nations unies. Le message est au mieux incompréhensible, en tout cas en décalage avec la situation : la population syrienne vit un calvaire économique au milieu des ruines, les armes crépitent encore dans certaines poches du pays et des bombardements des forces prorégime pilonnent régulièrement l’enclave insurgée d’Idlib.
La délégation de l’OMS en Syrie a rapidement fait marche arrière. Sur Twitter, elle s’est justifiée d’avoir voulu « promouvoir la solidarité, la détermination et un futur plus sain pour tous ». Mais l’équipe a retiré le clip quelques heures après sa mise en ligne, après des « réactions » selon lesquelles la séquence « ne représentait pas au mieux le message voulu ».
« Cette vidéo montre la légèreté d’approche, par ces gens, de la situation en Syrie, leur façon de voir le conflit. Comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle, qui n’a pas impliqué la destruction du tissu social », critique l’expert syrien Bassel Kaghadou, installé à Beyrouth, où il travaille comme consultant pour les Nations unies.
Déconnectée des réalités
Les pas de danse de l’OMS ont aussi fait grincer des dents dans d’autres bureaux de l’ONU à Damas. Une source diplomatique familière de la Syrie juge ainsi la démarche « pas très maligne. Ça sonne comme un petit cadeau au régime ». Une précédente représentante de la délégation de l’OMS en Syrie, Elizabeth Hoff, s’était illustrée déjà en 2016 en mettant en garde contre les dangers du tabac comme s’il s’agissait d’une priorité sous les bombes. Sans un mot pour les privations infligées aux zones rebelles, alors assiégées par le régime.
Ce dernier raté ne risque pas de redorer l’image de l’ONU auprès d’une bonne partie des Syriens, qui lui reprochent d’être déconnectée des réalités. Dans les pays limitrophes, les réfugiés critiquent la bureaucratie, et les opposants accusent depuis des années les Nations unies de se soumettre aux desiderata du pouvoir syrien. C’est lui qui autorise les accès au terrain, supervise le recrutement du personnel local et délivre – ou non – des visas aux expatriés. Des agences ont défendu cette approche au nom du pragmatisme : agir auprès des plus démunis, quel que soit le coût. Mais plusieurs fonctionnaires ont quitté le pays en dénonçant des compromissions.
Selon M. Kaghadou, certains bureaux des Nations unies accomplissent un bon travail de terrain, mais il dénonce « l’adoption par certains responsables de l’ONU en poste en Syrie depuis 2011 du narratif du régime, soit par conviction, soit parce qu’ils vivent en vase clos et n’ont pas d’autres repères. Pour changer d’approche, il faut du courage et de la volonté ». Les temps n’y semblent guère propices : des pays arabes, comme la Jordanie et les Emirats arabes unis, se rapprochent de Damas. Et certains pays européens s’interrogent désormais sur la marche à suivre.
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