Publié le : 29/10/2021 – 18:03
En France, un nombre inédit de soignants jettent l’éponge, épuisés par l’épreuve interminable du Covid-19 et des conditions de travail dégradées. Résultat : à l’hôpital, un lit sur cinq en moyenne est fermé fin octobre faute de personnel.
Ils se demandent comment ils vont passer l’hiver. Alors qu’un rebond épidémique se dessine dans l’Hexagone, de nombreux infirmiers et aides-soignants, n’ont plus la force de continuer : démissions et absentéisme font dérailler un système hospitalier à bout de souffle après deux ans de crise sanitaire.
L’alerte rouge a été lancée par le conseil scientifique le 5 octobre 2021. Selon l’organisation présidée par Jean-François Delfraissy, 20 % des lits dans les hôpitaux publics de l’Hexagone sont fermés, faute de soignants pour s’en occuper.
En près de quarante ans de métier, Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) n’avait jamais vu ça. « On a toujours fermé des lits à partir du mois de juillet pour permettre aux agents de partir en congés. Mais là, c’est la première fois que nous n’arrivons pas à les rouvrir à la rentrée ».
« Tout le monde est fatigué dans mon service, témoigne auprès de France 24, Virginie, une infirmière de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Certains intérimaires ne viennent plus. En cas d’absence, on se retrouve débordé, car le système fonctionne à flux tendu. Or à force de tirer sur la corde, le personnel finit par lâcher ».
Entre l’embouteillage de patients lié aux opérations déprogrammées, le retour des pathologies hivernales et la reprise épidémique, les professionnels de santé ne voient toujours pas le bout du tunnel.
Résultat : une augmentation de l’absentéisme, de l’ordre de 10 % en moyenne, mais aussi une vague de départs. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), entre 2 % à 5 % des postes de soignants sont actuellement vacants au sein des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics.
« Pour les soignants, les choses ne font qu’empirer »
Seule bonne nouvelle, l’obligation vaccinale n’a eu que très peu d’effet sur cette pénurie de soignants. Mi-octobre, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) dénombrait seulement 500 agents suspendus sur les 100 000 que compte l’organisation.
Du côté du gouvernement, le ministre de la Santé, Olivier Véran, concède des difficultés, mais conteste le chiffre de 20 % de lits fermés. Une enquête est en cours auprès de l’ensemble des établissements de santé pour évaluer précisément la situation.
« Il y a des postes vacants dans tous les établissements de France », assure pour sa part Thierry Amouroux. « Nous sommes désespérés et les choses ne font qu’empirer ».
Un point de vue partagé par Alexandre Brudon, le vice-président du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris (SIHP). « Il y a un effet de ciseaux entre des patients dont les pathologies se sont aggravées », faute d’avoir été pris en charge à temps à cause de la pandémie de Covid-19 et « la trajectoire de diminution des lits qui s’est poursuivie en 2020 ».
Selon un rapport de la Direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques (Drees), publié en septembre, la France disposait de 386 835 lits d’hospitalisation fin 2020, soit 5 758 de moins en un an. Depuis 2013, ce sont 27 000 lits d’hospitalisation qui ont été supprimés, soit une baisse de 6,5 % en sept ans.
Dans le sillage du Ségur de la santé, le gouvernement avait promis de suspendre les projets de restructuration pour des raisons purement comptables. Mais sur le terrain, cette nouvelle doctrine peine à se matérialiser.
« Le Ségur de la santé a été un hommage rendu à l’hôpital avec des gratifications pour des personnels qui n’avaient pas eu de revalorisations salariales depuis longtemps », estime Alexandre Brudon. Mais sur les véritables problématiques, il y a surtout eu des effets d’annonce », pointe le vice-président du SIHP qui cite en exemple le manque de moyens engagés sur la prévention.
Saturation en pédiatrie
Et cette pénurie de soignants et de lits n’épargne pas non plus les services pédiatriques, particulièrement en Île-de-France. En raison de l’épidémie hivernale de bronchiolite qui a débuté plus tôt que d’habitude cette année, « des enfants en situation d’urgence ne peuvent plus être pris en charge » s’est alarmé jeudi le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH) parlant de « tri » à faire entre les jeunes patients.
« En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants en situation d’urgence vitale et avons dû annuler 25 hospitalisations programmées depuis plusieurs mois », a détaillé Oanez Ackermann du service d’hépatologie pédiatrique du Centre hospitalier universitaire Bicêtre (AP-HP) lors d’une conférence de presse.
Pour être pris en charge en réanimation, des enfants sont envoyés dans des centres hospitaliers situés à une centaine de kilomètres du domicile de leurs parents.
« Même si la pédiatrie a été moins impactée par la crise du Covid, le personnel est allé prêter main forte dans d’autres services », détaille pour France 24 Brigitte Virey, pédiatre à Dijon et président du syndicat national des pédiatres français, qui rapporte également un nombre croissant de burn-out et d’absentéisme chez les infirmières et les puéricultrices.
En déplacement jeudi à l’hôpital de Blois, Olivier Véran a reconnu que 1 300 étudiants infirmiers avaient démissionné entre 2018 et 2021.
« Ce n’est pas une crise de vocation, mais un choc entre le métier rêvé et le métier exercé dans les conditions de sous-effectif », analyse Thierry Amouroux. « Et nous, nous ne voulons pas travailler dans des conditions qui remettent en cause la qualité des soins aux patients. »
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