Ses hippopotames sont une part de l’héritage de Pablo Escobar que personne ne s’empresse de revendiquer. Au début des années 1980, El Patrón, le baron de la drogue, a importé de manière illégale quatre hippopotames, pour agrémenter la ménagerie privée de son ranch en Colombie, la Hacienda Napoles. Mais après sa mort, le 2 décembre 1993, les autorités colombiennes ont décidé qu’il serait trop coûteux de les prendre en charge. Elles les ont tout simplement abandonnés à leur sort.
La nature étant généreuse, le troupeau a crû pour atteindre la taille respectable de 80 têtes : c’est désormais la plus grande colonie d’hippopotames hors d’Afrique. Mais ces bestiaux ont fini par devenir envahissants. Non contents de batifoler dans le ranch, ils se sont déplacés au gré de leurs envies et représentent une double menace pour l’environnement – leurs déjections modifient la chimie et les niveaux d’oxygène des cours d’eau – et les populations.
Sous ses airs débonnaires, ce pachyderme est tout sauf paisible : il défend jalousement son territoire et, à l’occasion, peut tuer des humains – 500 morts par an, soit cinq fois plus que le lion. Au point qu’une étude publiée en janvier par la revue scientifique Biological Conservation a recommandé l’abattage du troupeau de Don Pablo, l’un des nombreux surnoms de Pablo Escobar.
Empêcher la prolifération
Domingo Gómez Maldonado, un avocat colombien, défenseur des animaux, ne l’entend pas de cette oreille. En juillet, il a déposé un recours devant la justice colombienne pour obtenir leur grâce. La Colombie reconnaît certains droits aux animaux : pour les tribunaux colombiens, ce sont des « êtres sensibles », comme le rappelait au printemps la juriste Macarena Montes Franceschini dans un article du Journal of Animal Ethics.
En 2018, un tribunal colombien a même accordé, dans une décision historique, le statut de personne morale à une partie de la forêt amazonienne, contraignant le gouvernement colombien à mettre fin à la déforestation dans la région.
Les autorités colombiennes ont donc changé leur fusil d’épaule et opté pour une solution plus douce : la stérilisation. Après avoir castré de manière traditionnelle onze bestiaux, Cornare – l’organisation régionale de protection de l’environnement qui mène le projet – a choisi une autre méthode, la stérilisation chimique, démarche soutenue financièrement et techniquement par les Etats-Unis. Néanmoins, l’organisation admet qu’elle tâtonne : « Le processus reste complexe, puisque les experts suggèrent de donner trois doses, sur la base d’études et des comparaisons faites avec d’autres grands animaux, comme les chevaux. »
Loi permettant de réclamer une déposition américaine
Depuis la mi-octobre, plus d’une vingtaine de ces mammifères ont reçu des fléchettes leur injectant du GonaCon, un vaccin contraceptif mis au point par le ministère de l’agriculture américain. C’est la raison pour laquelle l’association Animal Legal Defense Fund (ALDF) a saisi la justice américaine en application de l’article 1 782 du titre 28 du Code des Etats-Unis. Cette loi fédérale permet à « une personne intéressée » de réclamer une déposition américaine dans un litige à l’étranger.
En l’espèce, il s’agissait de recueillir, au nom de la « communauté d’hippopotames vivant dans la rivière Magdalena », l’avis des docteurs Elizabeth Berkeley et Richard Berlinski. Ces deux vétérinaires américains de l’ONG Animal Balance, spécialisés dans la stérilisation, ont été sollicités pour appuyer le recours de Domingo Gómez Maldonado contre l’utilisation du GonaCon. Ce contraceptif a été développé pour lutter contre la prolifération du cerf à queue blanche de Colombie (du nom du fleuve Columbia, aux Etats-Unis) avant d’être utilisé avec succès sur d’autres espèces… Mais il n’a pas été testé sur Hippopotamus amphibius.
A la place, les deux vétérinaires recommandent l’utilisation du PZP, un contraceptif utilisé avec succès chez les hippopotames dans les zoos. « On ne sait pas si l’utilisation du [GonaCon] par le gouvernement colombien sera sûre et efficace, et on ne sait pas non plus combien d’hippopotames le gouvernement a encore l’intention de tuer », a écrit l’ALDF dans un communiqué.
Des droits pour les animaux aux Etats-Unis
Dans son ordonnance du 15 octobre, la juge Karen Litkovitz, de la cour fédérale de l’Ohio, a accédé à la demande de l’ONG. Il s’agit du premier exemple concret d’une cour américaine autorisant les animaux à exercer un droit légal en leur propre nom. « C’est une étape cruciale dans la lutte (…) pour reconnaître que les animaux ont des droits exécutoires », s’est réjoui Stephen Wells, directeur exécutif de l’ALDF.
« Ce jugement n’aura pas d’effet en Colombie car il n’est valable que sur le territoire [américain]. Ce seront les autorités colombiennes qui décideront du sort des hippopotames et non les autorités américaines », affirme Camilo Burbano Cifuentes, professeur de droit pénal à l’université Externado de Colombie, cité par le Guardian.
La Colombie et les Etats-Unis ne sont pas les seuls à reconnaître des droits aux animaux. En Europe, la France, mais aussi l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et le Portugal ont déjà modifié leur code civil pour reconnaître le caractère vivant et sensible des animaux.
En France, constatant que la protection animale n’est pas incarnée politiquement en France, le député (La République en marche) Loïc Dombreval a rendu, en juin 2020, un rapport sur le « Bien-être des animaux de compagnie et des équidés », dans lequel il suggère de créer une sorte de défenseur des droits ou un secrétariat d’Etat dédié à la condition animale, voire un délégué interministériel.
En Espagne, un tribunal de Madrid a fait un pas dans cette direction. Considérant que les animaux sont des « êtres vivants doués de sensibilité » et non plus de simples « biens », un juge a accordé la garde partagée d’un chien aux deux membres d’un couple séparé, le juge ayant considéré que tous deux sont « coresponsables » et « cogardiens » de l’animal, rapporte la chaîne espagnole RTVE.es.
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