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Ouagadougou, le 26 octobre. Cette femme n’a plus de nouvelles de son mari depuis 2019. Sans preuve de vie ou de mort, impossible de faire le deuil. SOPHIE DOUCE
Mariam* n’osait plus croire à ces retrouvailles. Depuis cinq mois, elle comptait les jours passés loin de son fils de 22 ans, détenu à la prison de haute sécurité (PHS), en périphérie de Ouagadougou. Ce samedi d’octobre, quand elle l’a enfin retrouvé, assis sous un auvent en tôle au milieu des prisonniers, elle a ravalé ses larmes. Elle ne voulait pas lui faire de peine et gâcher leurs quinze minutes, le temps accordé aux visites des familles dans l’établissement.
Elle a parlé vite, l’a rassuré sur l’état des récoltes et sur sa jeune épouse, lui affirmant que celle-ci n’avait pas annulé leur union. Elle aurait voulu savoir ce qu’il mangeait en prison, lui prendre la main, mais elle n’a pas osé, à cause des gardiens à côté et de l’enregistreur posé sur la table. « Suivant ! », a coupé un surveillant. Mariam a juste eu le temps de lui donner un sac d’habits neufs avant de repartir, le cœur serré.
Dehors, accroupis devant les murs en briques rouges protégés par des fils barbelés et des miradors, des dizaines de familles attendent leur tour depuis l’aube : un jeune homme qui patiente depuis quatre heures et a fait 220 km pour rendre visite à son « papa de 54 ans » ; deux femmes, leur bébé dans le dos, parées de robes à fleurs pour leur mari ; une vieille dame, venue comme chaque samedi apporter « une popote de riz, des oignons et un peu d’espoir » à ses deux fils, détenus depuis trois ans. D’autres arrivent encore, entassés dans des taxis verts brinquebalants qui repartent en vitesse à cause des caméras. Chaque week-end, c’est le même ballet.
Entre espoir et angoisse
Devant cette forteresse construite au milieu de nulle part, un bout de terre ocre jonchée de parpaings abandonnés, il y a ceux qui continuent d’espérer une libération ou un procès et ceux, plongés dans l’angoisse, qui guettent un signe de vie de leur frère, mari ou fils. Au Burkina Faso, de nombreuses familles ont perdu contact avec leurs proches qui ont été interpellés par les forces de sécurité lors d’opérations antiterroristes. Ceux-là se retrouvent alors souvent détenus à la PHS dans l’attente d’un non-lieu ou d’un jugement.
« Beaucoup ont été arrêtés en brousse et sont embarqués sans pouvoir prévenir leur entourage, soit parce qu’ils ont perdu leur téléphone ou qu’il a été confisqué, soit parce qu’ils n’ont pas mémorisé leurs numéros », explique l’avocat Ambroise Farama, qui passe « des mois » à chercher les proches dans les cabinets des juges d’instruction du pôle antiterroriste ou sur les listes de la prison truffées d’homonymes, avant de retrouver leur trace.
En détention, les suspects n’ont pas toujours accès à un téléphone fixe. Le droit international exige pourtant que les familles puissent connaître leur sort et que chaque partie d’un conflit armé et les autorités compétentes fournissent toutes les informations dont elles disposent à leur sujet. Depuis 2019, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a enregistré plus de 800 demandes de recherche de personnes portées disparues au Burkina.
Le 5 juin, le fils de Mariam était parti à vélo pour acheter une charrue en ville. Il n’est jamais revenu. Elle s’était dit qu’elle ne le reverrait plus, comme son mari, volatilisé il y a deux ans. Jusqu’à ce qu’elle reçoive, en août, un appel d’un numéro inconnu. Au bout du fil, la voix de son fils. « Je suis en vie, viens à Ouaga », a-t-il murmuré. La vendeuse de lait a puisé dans ses petites économies pour payer le bus, une journée de voyage depuis son village près de Toéni (nord-ouest), à plus de 200 km de la capitale. « Je n’ai jamais su pourquoi il a été arrêté », assure-t-elle, niant toute accointance de son garçon avec les groupes djihadistes qui ne cessent de resserrer leur emprise sur le nord du pays.
Ce samedi, elle est venue avec une photo de son mari pour la montrer aux gardiens. La dernière fois qu’elle l’a vu, c’était en juin 2019, avant que ce vendeur de bétail de 56 ans ne parte comme chaque jour au marché. Elle l’a attendu toute la nuit à la maison. Le lendemain, à la gendarmerie de Toéni, on lui a dit qu’il avait été « arrêté et transféré dans la capitale ». Mariam a cherché partout. A la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou et à la PHS. Rien.
« Les plus chanceux sont en prison »
Sans preuve de vie ou de mort, le deuil est impossible pour les familles, rongées par l’incertitude. Surtout que les accusations d’exactions des forces de sécurité se multiplient dans le pays. « Les plus chanceux sont en prison, sinon beaucoup de suspects ont été exécutés sur le terrain par l’armée », pointe Ali Sanou, le secrétaire général du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP).
Depuis 2015, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a enregistré 700 cas d’exécutions extrajudiciaires. Le 11 mai 2020, douze suspects de terrorisme, en garde à vue, ont ainsi été retrouvés morts à la gendarmerie de Tanwalbougou (est). HRW dénonce également de nombreux cas de détention abusive, alors qu’au Burkina la durée d’une garde à vue ne peut théoriquement dépasser quinze jours, avec une prolongation possible de dix jours pour des faits de terrorisme.
Ces captivités qui se prolongent indéfiniment, Issa* en a fait l’expérience en 2019. Cet éleveur et cultivateur de 47 ans assure avoir été gardé « quatre mois » par les militaires après avoir été interpellé sur la route de Tougan (nord-ouest) par « trois hommes armés et cagoulés ». Il aurait été transféré de la gendarmerie locale « au camp de Toéni du Garsi », le Groupe d’action rapide de surveillance et d’intervention au Sahel, financé et formé par l’Union européenne.
« On était serrés dans une petite cellule, il n’y avait pas de place pour s’allonger, on m’a accusé d’être complice des terroristes et on a menacé de me tuer », affirme cet ancien détenu rencontré à Ouagadougou, qui passera ensuite « une semaine la tête cagoulée » dans une autre cellule à Dédougou (nord-ouest), avant d’être libéré sur ordre d’un juge d’instruction, faute de preuves contre lui.
Face à toutes ces disparitions sans retour dans son village,Fanta*, elle, a cru que son petit frère de 30 ans « était mort ». Elle n’avait plus de nouvelles depuis son arrestation en 2018, alors qu’il prenait la route pour étudier au Mali. Elle pensait qu’il avait été tué par les forces de sécurité, comme son autre frère, « exécuté chez lui dans son sommeil », souffle, en fulfuldé, cette femme de 46 ans, assise sur un tabouret dans le salon d’un cousin, à Ouagadougou. Alors, après deux ans de silence, quand des habitants de son village tout juste libérés de la PHS lui ont dit qu’ils avaient vu le jeune homme dans leur cellule, elle a eu du mal à les croire.
Les proches craignent d’être stigmatisés
Depuis, Fanta, qui dit ne pas connaître les motifs de sa détention, est l’une des seules de la famille à aller le voir, « tous les six mois » environ, le temps de mettre un peu d’argent de côté pour lui acheter « quelques sacs de riz ». Le détenu n’a pas vu ses parents, sa femme et ses quatre enfants, restés dans leur village de la région du Sahel (nord), depuis trois ans. Faute de papiers, ils ont « peur de se faire arrêter » sur la route, eux aussi, en se rendant dans la capitale.
Comme eux, de nombreuses familles craignent de faire le déplacement jusqu’à la PHS, surnommée par certains « la prison des djihadistes », et d’être stigmatisés. « Il est arrivé que des hommes viennent rendre visite à leurs proches et soient enfermés en même temps », affirme le cousin de Fanta. Dix membres de leur famille ont déjà été arrêtés, mais aucun n’a eu accès à un avocat. « Personne n’a voulu les défendre, ils disent avoir peur », s’attriste le vieil homme, qui rapporte avoir contacté « une dizaine » de cabinets.
Au Burkina, rares sont les avocats à accepter de défendre des dossiers de terrorisme. Et les seuls qui le font pratiquent des tarifs souvent prohibitifs pour les familles démunies, pouvant aller de 1 à 10 millions de francs CFA (de 1 500 à 15 000 euros) pour l’ensemble de la procédure. « Ce sont des dossiers complexes, qui peuvent durer des années, et il faut aussi qu’on paie notre sécurité », argue un avocat.
*Les prénoms ont été changés.
Sommaire de la série « Burkina : une justice antiterroriste à la peine »
Le sentiment d’injustice ne cesse de s’aggraver au Burkina Faso, où les attaques djihadistes, les représailles intercommunautaires et les exactions imputées aux forces de sécurité ont fait plus de 3 700 morts depuis 2015, selon le dernier décompte de l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled).
Face à l’engrenage des violences, les familles des victimes réclament le droit à la vérité et à une réparation. Mais sur le terrain, les enquêtes sont longues et fastidieuses. Entre les menaces sécuritaires et le manque de moyens, les magistrats du pôle spécialisé peinent à mener à bien leur mission. En attendant, environ 900 terroristes présumés s’entassent dans les cellules de la prison de haute sécurité du pays, proche de Ouagadougou.
Alors que le 9 août, pour la première fois en six ans, cinq djihadistes ont été condamnés dans le pays, Le Monde Afrique a enquêté sur les difficultés de la justice antiterroriste et le parcours des détenus et de leurs familles.
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