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Imbroglio sino-allemand autour d’une biographie de Xi Jinping

Une présentation du livre “Xi Jinping, l’homme le plus puissant au monde” a dû être annulée en Allemagne à cause de pressions exercées par Pékin, avant d’être reprogrammée in extremis, pour mercredi. 

C’est le sujet à la mode en France parmi ceux qui crient au danger grandissant de la politique d’influence chinoise dans l’Hexagone. Les stratégies d’entrisme de Pékin dans l’enseignement supérieur inquiètent tant, qu’un rapport sénatorial, publié début octobre, y était même consacré. Et l’Allemagne vient de fournir une illustration grandeur nature de la manière dont la Chine peut exporter sa censure sur des sujets qui lui déplaisent.

Outre-Rhin, c’est une nouvelle biographie du président chinois, Xi Jinping, qui se retrouve au cœur d’un rapport de force entre le monde universitaire et la Chine. L’université Duisbourg Essen (dans l’ouest de l’Allemagne) avait prévu d’organiser, mercredi 27 octobre, une présentation du livre “Xi Jinping, l’homme le plus puissant au monde”, des journalistes Adrian Geiges et Stefan Aust. Elle a d’abord dû être annulée, samedi, après le désistement de l’un des organisateurs, l’Institut Confucius de Duisbourg. 

Xi Jinping “un être intangible et inviolable”

Sentant le vent de la censure chinoise souffler sur l’organisation de cet événement, durant lequel la pratique du pouvoir par Xi Jinping aurait dû être débattue, l’université a cherché en urgence un remplaçant pour mettre sur pied cette lecture-débat. Finalement, l’Institut de recherche sur l’Asie de l’Est de Duisbourg a accepté, mardi, de reprendre in extremis le flambeau pour maintenir la date du 27 octobre.

“Nous ne pouvons pas être sûrs à 100 % qu’il s’agit d’une tentative de censure, mais il est clair que nous allons poser des questions à cet Institut Confucius. La liberté d’enseignement et de recherche est une valeur centrale pour nous et le recteur a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas que cela se reproduise”, a indiqué l’université de Duisbourg, contactée par France 24.

L’éditeur de cette nouvelle biographie du dirigeant chinois, Piper Verlag, est beaucoup plus affirmatif sur la tentative de censure chinoise. “L’université Tongji de Shanghaï et le consul chinois à Düsseldorf, Feng Haiyang, sont intervenus pour empêcher la tenue de cet événement”, précise une porte-parole de Piper Verlag, contactée par France 24. Elle ajoute que, lors des contacts téléphoniques avec les Instituts Confucius allemands pour comprendre ce qui s’est passé, l’un des interlocuteurs aurait affirmé “qu’il ne faut pas parler de Xi Jinping comme s’il s’agissait d’une personne ordinaire, car c’est un être intangible et inviolable”. Mais il “ne s’agit pas de la position officielle des instituts Confucius en Allemagne”, tient à préciser Piper Verlag dans un communiqué de presse. 

Pour l’éditeur, cette justification prouve surtout que l’ordre de faire barrage à la tenue de cette présentation a dû venir “de tout en haut” à Pékin. 

Contacté par France 24 au sujet de cette étrange description du président chinois, l’Institut Confucius de Duisbourg a préféré botter en touche. “Nous sommes en train de réfléchir ensemble à l’institut Confucius Métropole Ruhr à la situation, et préférons pour l’instant ne pas répondre à cette question”, indique-t-il. Il précise seulement avoir décidé de se retirer de l’événement après “avoir constaté des différences de point de vue entre les partenaires chinois et allemands [de l’Institut]”. Ces organismes ont, typiquement, une direction duale, constitué d’un représentant du pays d’accueil et d’un Chinois.

Le rôle des instituts Confucius

L’affaire de la biographie de Xi Jinping soulève d’ailleurs la question du rôle que doivent jouer ces Instituts Confucius aux yeux de Pékin. Traditionnellement, ils ont toujours été considérés comme l’aspect le plus bienveillant de la politique d’influence chinoise. Il y a plus de 500 antennes de ces organismes dans le monde, dont 19 en France. Créés en 2004 par le Parti communiste chinois, ils ont pour missions de promouvoir la langue et la culture chinoises. Des dizaines de milliers de personnes apprennent le chinois dans plus de 140 pays  grâce aux Instituts Confucius.

Pas de quoi, a priori, crier à l’exportation de la propagande chinoise. C’est la même mission qui incombe à l’Alliance française pour la France. L’université de Duisbourg tient d’ailleurs à souligner que “nous n’avons jamais eu de problème avec cet organisme auparavant”. Et, l’Institut Confucius de Duisbourg a confirmé à France 24 “n’avoir jamais jusqu’à ce jour retiré son soutien à l’organisation d’un événement au sein de l’université”.

Mais d’aucuns craignent que, sous l’effet des tensions sino-américaines, les Instituts Confucius commencent à agir comme le bras académique de Pékin. Au Canada, ces organismes sont ainsi soupçonnés “d’être contrôlés par le Parti communiste chinois” pour défendre les intérêts du régime à l’étranger, rappelle le rapport sénatorial français.

Plusieurs pays ont, d’ailleurs, commencé à sévir. La Suède a même été le premier en Europe à fermer tous les Instituts Confucius sur son territoire en mai 2020, tandis que les conservateurs au Royaume-Uni militent depuis deux ans pour suspendre l’activité de ces institutions sur le sol britannique. “Nous avons donné trop de place aux Instituts Confucius” en Allemagne, a regretté, pour sa part, la ministre de l’Éducation, Anja Krajicek, en juin 2021.

Pour les détracteurs de ces antennes d »influence chinoise, les incidents “isolés” similaires à celui qui vient de se produire en Allemagne auraient tendance à se multiplier. Il y a eu, en 2019, la démission, puis l’expulsion de Belgique de Song Xining, le directeur de l’Institut Confucius rattaché à l’Université Vrije de Bruxelles (VUB), accusé d’avoir utilisé l’organisme pour espionner les étudiants chinois dans la capitale belge. En avril 2021, c’est au tour de l’Institut Confucius de Bratislava de faire parler de lui, après que son directeur ait menacé de mort un chercheur qui travaillait sur l’entrisme de Pékin dans le monde académique slovaque, rappelle Le Monde.

Autant de précédents regrettables mais “qui ne doivent pas amener à surestimer le rôle de ces Instituts Confucius”, souligne Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.

Il connaît la pression que Pékin peut exercer sur le monde académique, après avoir été traité lui-même traité de “petite frappe” et de “troll” sur Twitter par Lu Shaye, l’ambassadeur de Chine en France. 

Pour lui, “il y a d’autres réseaux d’influence chinois dans le monde universitaire bien plus problématiques que les Instituts Confucius”. Par exemple, le “programme des 1000 talents”, qui vise, depuis 2008, à attirer des chercheurs pour venir travailler en Chine, a souvent été accusé, notamment par le FBI américain, d’être un moyen de cultiver les relais scientifiques à travers le monde pour profiter du savoir-faire et des technologies étrangères. “Car il ne faut pas se tromper, assure Antoine Bondaz, la priorité des priorités pour la Chine est la captation de technologie à l’étranger”.

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