Comme un paysage de carte postale, le soleil se couche sur la mer Mineure, illuminant de ses derniers rayons les îles volcaniques et sauvages du Baron et de Perdiguera, quelques voiliers bercés par les flots et, plus au sud, les monts de la Sierra de Carthagène. Même en plein mois d’octobre, de jeunes enfants, en maillot de bain, jouent encore le soir tombant près des eaux calmes et tempérées de cette immense lagune salée de 135 km2, peuplée de flamants roses, d’hippocampes et de nacres géantes, séparée de la Méditerranée par un bras de sable de 22 km de long, la Manga del Mar Menor. Cet écosystème unique situé dans la région de Murcie, au sud-est de l’Espagne, pourrait être idyllique s’il n’avait été massivement urbanisé à partir des années 1960 et contaminé durant des décennies par les tonnes de nitrates déversés par l’agriculture et l’élevage.
« Je ne me baigne plus, ça me dégoûte toutes ces algues et l’odeur : si ça continue, ça ressemblera à une mare », regrette Sagrario Lopez, 54 ans, assise sur une chaise pliante posée sur le sable gris de San Pedro del Pinatar, aux côtés de sa fille et de ses deux petits-enfants. « Il y a vingt ans, c’était autre chose, l’eau était transparente et on voyait des tonnes de poissons. Maintenant, mes amies ne veulent plus venir », ajoute cette Madrilène venue passer ici le pont de la fête nationale espagnole, le 12 octobre.
Des tonnes de poissons, les estivants en ont bien vu cet été, entre les 15 et 25 août : morts. Pris au piège dans des poches d’anoxie provoquées par l’eutrophisation de la lagune, près de cinq tonnes de poissons sont venus mourir près de la rive, sortant désespérément leur bouche de l’eau à la recherche d’oxygène. Alors que l’administration régionale pointait les effets d’une possible hausse des températures, l’Institut espagnol d’océanographie (IEO) a été clair dans son rapport, rendu le 13 septembre : le principal responsable de cet épisode de mortalité est « la pénétration incessante d’engrais dans la lagune (…). L’excès de phytoplancton limite l’entrée de la lumière, ce qui affecte la photosynthèse et la disponibilité d’oxygène dans l’eau jusqu’à des niveaux proches de l’hypoxie ».
Après l’épisode de « soupe verte » de 2016 – quand la lagune tout entière a verdi sous l’effet de la prolifération des microalgues, provoquant la perte de près de 80 % de la végétation sous-marine –, puis la mort subite de plus de 3 tonnes de poissons en octobre 2019 à la suite de pluies torrentielles, sa conclusion est sans appel : « L’écosystème lagunaire a perdu sa capacité de régulation. »
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