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Au Soudan, l’impossible partage du pouvoir entre civils et militaires

Les espoirs des Soudanais de voir leur pays épouser une voie démocratique grâce à un processus de transition ont été douchés par le coup d’État militaire du 25 octobre. Confié à la fois à des forces civiles et à l’armée, ce processus semblait voué dès le départ à un échec inéluctable. 

Englué depuis deux ans dans un processus de transition vers un pouvoir civil qui n’a toujours pas vu le jour, le Soudan a plongé dans l’inconnu après le coup d’État militaire du 25 octobre du général Abdel Fattah al-Burhane, et l’arrestation des membres civils du pouvoir, dont le Premier ministre, Abdallah Hamdok.

Ce coup de force, qui intervient après des mois de tensions croissantes dans le pays, a sonné le glas d’un pouvoir de transition hybride mi-civil, mi-militaire qui était chargé de mener le pays vers la démocratie. 

En effet, depuis la chute, en mars 2019, de l’autocrate Omar el-Béchir, renversé après trente ans de règne, le pays était dirigé par un gouvernement de transition, avec un Premier ministre civil, Abdallah Hamdok, et un Conseil de souveraineté, composé de civils issus des rangs de la contestation et de militaires, présidé par le général Abdel Fattah al-Burhane. Une présidence qui devait passer aux civils le 17 novembre.

« Chronique d’un échec annoncé »

Selon les experts, l’échec du processus de transition s’explique notamment par la nature même de cet attelage « contre nature », présenté à l’origine comme un partenariat salvateur pour le pays. 

« C’est la chronique d’un échec annoncé, tant les évènements en cours dans le pays ne constituent en rien une surprise, explique à France 24 Rachid Mohamed Ibrahim, professeur de sciences politiques et des relations internationales à Khartoum. La transition bicéphale, à la fois civile et militaire, portait en elle le germe de l’échec dès le départ, puisque ce partenariat incohérent n’était pas fondé sur la confiance, mais sur la méfiance mutuelle qui faisait que l’un et l’autre ne se considérait pas comme un partenaire, mais plutôt comme un ennemi potentiel ».

Ces derniers mois, les relations n’ont cessé de se dégrader entre les deux camps, avec un Premier ministre n’hésitant pas à critiquer, à plusieurs reprises, l’armée et les services de sécurité, avec dans sa ligne de mire leur poids disproportionné dans l’économie,  notamment dans les secteurs vitaux.

De leur côté, les militaires, qui ont été forcés par l’ampleur de la contestation d’inclure les civils dans le processus de transition, ne sont pas vraiment pressés de perdre leur mainmise sur le pouvoir et l’économie. Ils avaient donc tout à gagner à voir le pouvoir civil échouer dans sa tâche de redressement du pays, l’un des plus pauvres du monde. Quitte, même, à lui compliquer la tâche.

Confronté à une grave crise socio-économique chronique héritée de l’ère Omar el-Béchir, à une inflation galopante et une dette abyssale, le gouvernement a perdu du crédit en raison de sa politique d’austérité dictée par le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir l’effacement de la dette du pays. 

Cette perte de popularité, sur laquelle a surfé l’armée, s’explique aussi par les impatiences provoquées par la lenteur du processus de transition et par le retard pris dans le jugement des responsables de la répression de la contestation.

« Le gouvernement de transition a sa part de responsabilité dans les évènements et les tensions actuelles dans le sens où il n’a pas répondu aux aspirations de la rue, poursuit Rachid Mohamed Ibrahim. Mais aussi dans le sens où ce sont bien les civils qui ont accepté de partager le pouvoir avec les militaires, ce sont les partis qui ont laissé l’armée entrer de plain-pied sur la scène politique en signant des accords avec elle ».

Un camp civil fracturé

Membre du Front national élargi, un parti d’opposition soudanais, Abbas Hassan Ahmad estime, de son côté, que les Forces pour la liberté et le changement (FLC), coalition issue de la principale organisation du mouvement de protestation, paye le prix de son partenariat avec l’armée. « Le FLC a confisqué la révolution, et marginalisé les autres courants qui ne voulaient pas dialoguer avec l’armée, confie-t-il à France 24. Les civils qui ont laissé les militaires entrer dans la sphère politique, et qui ont négocié avec eux, ont trahi la révolution, son esprit, mais aussi le peuple et les martyrs soudanais ».

La division au sein des forces politiques civiles est l’autre explication de l’échec de la transition démocratique. Car si les tensions avec les militaires étaient grandissantes, celles qui plombaient le camp civil étaient tout aussi létales pour le processus de transition. 

« Dès le début du processus, le camp civil s’est divisé autour du partenariat avec les militaires que certains jugeaient contraire aux aspirations du peuple et aux objectifs de la révolution, insiste Rachid Mohamed Ibrahim. Ces incohérences et ces mésententes ont compliqué les rapports avec les militaires et rendu encore plus difficile la tâche du Premier ministre, Abdallah Hamdok ». 

Sans compter, ajoute-t-il, que « l’exercice et le partage du pouvoir ont provoqué de nouvelles divisions intestines et l’éparpillement du camp civil, qui s’est peu à peu éloigné de ses objectifs et a fini par se piéger lui-même ».

Ainsi, à un jour d’intervalle, le ministre de l’Industrie, Ibrahim al-Sheikh, est apparu, la semaine dernière, au milieu d’un cortège réclamant la remise du pouvoir aux civils, avant que le lendemain, le ministre des Finances, Jibril Ibrahim, s’affiche avec les pro-armée qui campaient depuis quelques jours aux portes du palais présidentiel. Ces deux dirigeants se réclament publiquement tous les deux du FLC, lui-même fracturé en deux factions.

« Il nous faut revenir à l’esprit de la révolution »

Une confusion et des divisions qui, combinées au mécontentement social et aux conséquences de la crise économique, ont pavé la voie à une reprise en main de l’armée.  

Cette reprise en main pourrait voir le général Abdel Fattah al-Burhane, qui a promis la formation d’un nouveau cabinet de « personnes compétentes » et « une transition vers un État civil et des élections libres en 2023 », rapidement s’entourer uniquement de civils pro-armée. Et ce, pour donner l’illusion d’un partage du pouvoir conforme aux accords signés entre les militaires et les civils.

« Le général Abdel Fattah al-Burhane manipule les politiciens mais aussi l’armée, à laquelle il veut faire jouer un rôle politique pour confronter les partis civils et pour que les militaires restent au pouvoir pour toujours », prévient l’opposant Abbas Hassan Ahmad. 

Et de conclure : « Il nous faut revenir à l’esprit de la révolution, c’est-à-dire avant la signature des accords signés avec l’armée, les Soudanais ne doivent pas se taire, il faut qu’ils descendent dans les rues de toutes les villes du pays pour s’opposer à ce coup d’État et défendre la démocratie, car nous ne pouvons pas permettre à l’armée d’être un acteur du processus politique ». 

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