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Le président mozambicain Filipe Nyusi à Maputo en octobre 2019. Il était ministre de la défense au moment du début du scandale de la « dette cachée » en 2013. GRANT NEUENBURG / REUTERS
Agents du renseignement ou fils d’ancien président, tous ont été proches du pouvoir et sont aujourd’hui assis sur le banc des accusés : depuis deux mois, le Mozambique juge les responsables de l’un des plus grands scandales de corruption du pays, qui inquiète jusqu’au sommet de l’Etat.
Dix-neuf accusés de haut vol sont jugés pour chantage, faux, détournement de fonds et blanchiment pour des montants de plusieurs millions d’euros, dans le scandale dit de la « dette cachée ». L’affaire concerne des prêts secrets de 1,8 milliard accordés par des banques étrangères à des entreprises publiques mozambicaines et garantis par l’Etat, officiellement pour des contrats d’équipement en matériel de pêche et surveillance maritime.
Ce procès est « une occasion unique pour les Mozambicains de demander des comptes à ceux qui les ont poussés dans la pauvreté », estime Adriano Nuvunga, coordinateur du groupement anticorruption Budget Monitoring Forum (BMF). « Fonctionnaires et politiciens doivent comprendre que la corruption ne restera pas impunie. La corruption entraîne des millions de gens dans la pauvreté », a-t-il affirmé à l’AFP.
La semaine dernière, alors que le dernier accusé encore interrogé était à la barre du tribunal de fortune installé sous une tente dans une prison de Maputo, le Crédit suisse, principal prêteur avec la banque russe VTB, a reçu une amende de 475 millions d’euros. La banque a autorisé des transactions qui « ont servi à monter un système de dette cachée, à verser des pots-de-vin », selon les gendarmes financiers de plusieurs pays où l’argent a transité.
Le chef de l’Etat mis en cause
Le gouvernement mozambicain par le biais de ses avocats à Londres s’est félicité de cette décision auprès de l’AFP et s’est dit « déterminé à traduire les responsables en justice ». Mais le chef de l’Etat lui-même, Filipe Nyusi, est mis en cause dans plusieurs témoignages.
L’affaire remonte à 2013-2014. L’actuel président est alors ministre de la défense. « C’est Filipe Nyusi, qui a désigné le Crédit suisse pour financer le projet de protection des côtes », a accusé lors d’une récente audience retransmise en direct à la télévision nationale, Antonio do Rosario, ancien chef du renseignement. C’est également lui qui a validé « les termes du financement ».
Filipe Nyusi avait déjà été mis en cause dans un pan de l’affaire jugé en 2019 aux Etats-Unis, accusé d’avoir reçu des financements occultes pour sa campagne présidentielle de 2015. A ce jour, il n’a pas été inquiété par la justice.
Accusé d’avoir joué les facilitateurs auprès de son père Armando Guebuza, président de l’époque appelé à témoigner au procès, Ndambi Guebuza, 44 ans, a lui argué ne pas avoir « une mémoire d’éléphant ». A l’époque, le Mozambique connaît la paix depuis deux décennies et s’est finalement relevé d’une guerre civile qui a duré quinze ans.
Chouchou des investisseurs
La découverte des plus grandes réserves de gaz naturel d’Afrique subsaharienne au large de ses côtes, en 2010, en fait le chouchou des investisseurs et le FMI table sur une croissance à deux chiffres d’ici à dix ans. Sa directrice Christine Lagarde s’affiche tout sourire au côté d’Armando Guebuza.
Mais en 2016, le scandale éclate : l’argent a été emprunté secrètement, sans l’aval du Parlement et dans le dos des créanciers du pays parmi les dix plus pauvres au monde, dépendant de l’aide internationale. Le FMI suspend son aide budgétaire, le Mozambique plonge dans une crise financière sans précédent et tombe en défaut de paiement.
Les chefs du parti historique au pouvoir depuis quarante ans, le Frelimo, ont-ils contracté ces prêts, enivrés par l’idée des futures recettes tirées du gaz ? Aujourd’hui encore, l’exploitation n’a pas commencé, les mégaprojets gaziers pesant plusieurs milliards d’euros étant entravés par des attaques djihadistes dans le nord-est depuis quatre ans.
Mais qu’est-il finalement advenu de l’argent emprunté ? Surveillance maritime, patrouilleurs, chalutiers… Plusieurs audits indépendants n’ont pu déterminer exactement ce qui a été acheté.
Certains des trente bateaux commandés par la Compagnie mozambicaine de thon (Ematum) à la France ont bien été livrés. Ils rouillent au port par manque de marins qualifiés, décrit un ancien rapport commandé par le procureur général au Mozambique.
Reste qu’une partie de la somme est intraçable. Quelque 170 millions d’euros, sans doute plus, sont partis en pots-de-vin, selon la justice américaine. D’autres procédures sont en cours en Suisse, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. Les ONG s’opposent depuis des années au remboursement de la « dette cachée ». Le procès doit durer encore plusieurs semaines.
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