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En Chine, à Datong, la folie des grandeurs d’un maire déchu

LETTRE DE PÉKIN

La porte sud de la vieille ville de Datong, ainsi que ses douves, ont été reconstituées de toutes pièces. Ici, en septembre 2019. WIKIPEDIA

Jusqu’ici surtout connue pour être la capitale du charbon en Chine, Datong, ville d’environ 1,5 million d’habitants du nord du Shanxi, va-t-elle réussir sa reconversion et se transformer en centre touristique ? En septembre, cette ancienne capitale des Tuoba, des nomades turcophones qui se convertirent au bouddhisme au Ve siècle, a rajouté une corde à son arc en ouvrant un nouveau musée des beaux-arts. Un superbe bâtiment conçu par une des stars de l’architecture contemporaine : le Britannique Norman Foster. Quatre pyramides encastrées les unes dans les autres qui ne laissent absolument pas deviner au visiteur que, une fois à l’intérieur, il va se trouver dans un espace extrêmement lumineux de 32 000 mètres carrés, sous une hauteur de plafond pouvant atteindre 37 mètres. L’effet est bluffant.

L’architecte, à qui l’on doit la coupole du Bundestag et le viaduc de Millau (Aveyron), est en bonne compagnie à Datong. Son musée n’occupe qu’un des quatre coins d’une immense esplanade dont les trois autres angles abritent un musée d’histoire conçu par le Chinois Cui Kai, un opéra de 2 800 places réalisé par l’architecte japonais Arata Isozaki, et une bibliothèque dessinée par l’Américain Prescott Cohen. Voilà pour la culture. Les sports ne sont pas mal lotis non plus : à quelques centaines de mètres du quadrilatère trône un immense stade, œuvre de l’Australien Andrew James.

Une jeune fille à sa fenêtre dans une maison traditionnelle du centre de Datong. La maison est promise à la démolition et ses habitants doivent être relogés dans le cadre du projet de transformation de la ville. Le chantier a été interrompu alors que la ville est endettée de près de 2 milliards de dollars. Les derniers habitants du centre-ville ne savent pas s’ils doivent partir, ni quand. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Les bâtiments de la mine numéro 5 de Tongmei. L’industrie du charbon est la première ressource de Datong, et l’entreprise minière Tongmei est le premier employeur de la ville. Cependant, la crise du charbon affecte durement la cité. Tongmei a perdu près de 500 millions de dollars en 2015, et le plan de fermeture de petites mines, telles que celle-ci, risque d’aggraver la mauvaise situation économique de la région. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Un homme récupère du métal sur les ruines du chantier interrompu de l’East China Mall dans le centre de Datong. Ce centre commercial, prévu pour être l’un des plus grands de la Chine du Nord, devait couvrir une surface de 360 hectares, et représentait un investissement supérieur à 1  milliard de dollars. Il n’a toujours pas vu le jour. Une première tranche a été terminée, mais aucun commerce n’a souhaité s’y installer. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Le stade de 30 000 places fait partie du nouveau parc sportif de la cité charbonnière qui inclut également une arène de 8 000 places, une centre de natation avec deux piscines olympiques (1 500 places) et un centre d’entraînement. Il a été conçu par la firme Populous, qui a également conçu le stade olympique de Londres. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Le nouveau stade de Datong. Le gros œuvre du parc sportif a été achevé en 2014, mais aucune des infrastructures n’a pu être mise en service, en raison de la montagne de dettes à laquelle la ville doit faire face. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Les nouveaux remparts de Datong, copie de ceux construits sous la dynastie Ming. A l’arrière-plan, des projets immobiliers dont la construction est suspendue. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Des piétons au pied des nouveaux remparts, le 22 février 2016. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Intérieur du nouveau théâtre de Datong, comprenant 2 scènes pouvant accueillir 2 300 spectateurs. Le gros oeuvre terminé, la ville de Datong, face à une montagne de dettes, ne l’a jamais mis en fonctionnement. Le musée fait partie d’un nouveau quartier dans lequel on trouve une nouvelle mairie, une bibliothèque, un théâtre, et deux musées et un parc sportif. Seul un musée fonctionne et est ouvert au public à ce jour. Gilles Sabrié pour Le Monde

Les ruines du centre-ville de Datong au pied des remparts. La construction des murailles aurait coûté plus de 1 milliard de dollars. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Un tronçon des nouveaux remparts. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Sur les nouveaux remparts, le 22 février 2016. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Une sculpture contemporaine accrochée aux nouveaux remparts. Près de la porte nord, les remparts restaurés abritent le Musée de la sculpture, consacré aux œuvres contemporaines. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Des visiteurs, lors d’un festival des lanternes, événement touristique destiné à accroître le nombre de visiteurs à Datong. GILLES SABRIÉ pour « Le Monde »

Clairement, Datong veut « en mettre plein la vue ». Surtout que ces somptueux monuments ne constituent qu’un des « spots » de la cité dont le joyau est la vieille ville, totalement refaite à neuf et entourée de remparts également reconstitués. Une balade nocturne éclairée par d’innombrables lanternes rouges ne manque pas de charme. Tout est beau, mais tout est faux.

Tout est beau, mais tout est faux

A qui Datong doit-elle cela ? « A l’ancien maire », répondent invariablement les habitants. L’édile en question s’appelle Geng Yanbo. Il a dirigé la ville de 2008 à 2013. Cinq ans durant, ce bourreau de travail a transformé la cité de fond en comble, faisant élever une muraille d’enceinte de plus de 7 km, et contraignant plusieurs dizaines de milliers de personnes à déménager dans des immeubles en périphérie afin de détruire le centre et de lui donner une allure ancienne.

« Le Maire chinois », film documentaire sur le maire de Datong réalisé par le documentariste Zhou Hao, sorti en 2015. IMDB / ZHAOQI FILMS

« A l’avenir, Datong sera une cité antique peuplée de touristes », dit une jeune guide

Il se trouve qu’en 2012, Geng Yanbo s’est laissé filmer par un cinéaste, Zhou Hao. Sorti en 2015, le documentaire Le Maire chinois (distribué en France par Ecrans du monde) est extrêmement instructif. Passionné par l’histoire de la Chine impériale, Geng Yanbo, parachuté à Datong par le Parti, est convaincu que la ville ne peut s’en sortir qu’en misant sur la culture et en retrouvant sa supposée splendeur passée. « A l’avenir, Datong sera une cité antique peuplée de touristes », explique une jeune guide avec une candeur désarmante. « On construit un faux patrimoine partout désormais », raille un habitant.

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