Plus clivant que jamais, le sujet de l’immigration divise aussi quant à ses effets sur l’économie. « Vous êtes une chance pour la France », lance régulièrement Emmanuel Macron aux immigrés et enfants d’immigrés.
A l’inverse, Marine Le Pen reprend la vieille antienne de son père en liant chômage et arrivée des travailleurs immigrés. « Avec 6 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres, la France n’a pas besoin de faire appel à l’immigration », déclarait-elle encore fin septembre. Quant à Eric Zemmour, il répète presque mot pour mot le discours du Rassemblement national en affirmant qu’ »il y a un coût de l’immigration colossal » … Sans jamais avancer de chiffre précis.
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Compétences et mobilité
En fait, la question des effets de l’immigration sur l’activité économique est plus complexe qu’il n’y paraît. En théorie, une hausse de la population augmente mécaniquement le niveau de la consommation, des investissements et de la population active, ce qui augmente les richesses produites, le fameux PIB. Mais cet enrichissement du pays se traduit-il par un enrichissement de la population? Pour le savoir, les économistes observent généralement l’impact de l’immigration sur l’évolution du PIB par habitant. Depuis le début des années 2000, une dizaine d’études empiriques ont été publiées dans des revues académiques. Le Congrès américain et la Chambre des Lords anglaise se sont aussi penchés sur le sujet.
Premier constat: la plupart de ces travaux concluent à des effets positifs de l’immigration sur la richesse par habitant à long terme. En 2016, une étude du Fonds monétaire international (FMI) sur dix-huit pays riches, dont la France, estime ainsi qu’une hausse d’un point de pourcentage de la part des immigrés dans la population conduit à une hausse de 2% du PIB par habitant. En 2014, une autre étude parue dans Journal of International Economics sur un panel bien plus large de 194 pays évalue à 6% la hausse de la richesse par habitant pour une augmentation d’un point de pourcentage de la population immigrée. Et la seule recherche spécifique sur la France, signée d’Hippolyte d’Albis, économiste au CNRS, trouve aussi un impact positif des flux d’immigrés entre 1994 et 2008.
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Cet effet bénéfique de l’immigration sur la croissance s’explique principalement par des gains de productivité. En effet, les immigrés ont souvent des compétences complémentaires aux non immigrés, ce qui facilite les recrutements des entreprises et élargit la palette des profils. Plusieurs recherches universitaires montrent en outre que les immigrés sont généralement plus mobiles sur le territoire, plus volontaires pour se reconvertir dans de nouveaux métiers, voire plus entreprenants. « L’immigration favorise donc une meilleure allocation des facteurs de production, décrypte un rapport de France Stratégie, organisme de recherche placé auprès de Matignon, même si c’est aux dépens de la stabilité professionnelle des immigrés. » Selon une étude de l’économiste Cristina Mitaritonna portant sur l’Hexagone, une hausse de 10% de l’emploi immigré dans un département accroît de 1,7% la productivité du secteur manufacturier.
Ecart sur le taux d’emploi
Pour autant, la France n’est pas la mieux placée pour booster son économie avec ses immigrés. Et pour cause: son immigration est proportionnellement moins qualifiée que dans les autres pays riches et plus souvent au chômage que le reste de la population. En 2020, 38% des immigrés ont le brevet ou aucun diplôme, contre 19% des non immigrés (voir graphique), et l’écart du taux d’emploi entre immigrés et non-immigrés est de 18 points de pourcentage! « Le sous-emploi des femmes immigrées est particulièrement marqué dans notre pays, pointe Cédric Audenis, commissaire général adjoint de France Stratégie. Une amélioration de leur niveau d’activité permettrait de gagner de la croissance. »
Moins qualifiés, les immigrés occupent encore majoritairement les métiers les plus pénibles ou les plus mal payés. Ils représentent ainsi 35% des emplois de maison, 28% des postes de gardiennage et de sécurité, 27% des ouvriers du bâtiment et 19% des employés de l’hôtellerie et de la restauration. Dans son étude, le chercheur Hippolyte d’Albis note toutefois qu’en augmentant l’offre de services à la personne (ménage, gardes d’enfants, etc.), les immigrés favorisent aussi l’activité des femmes non immigrées qualifiées.
« Le paradoxe est qu’à force de limiter l’immigration économique, la France s’est coupée des travailleurs immigrés les plus qualifiés que les autres pays s’arrachent, déplore Hillel Rapoport, professeur à l’Ecole d’économie de Paris. Rien n’est fait par exemple pour faciliter l’installation d’étudiants étrangers après leurs études. » Entre 2000 et 2010, la contribution des immigrés à l’accroissement de la main-d’œuvre qualifiée n’a ainsi été que de 3,5% en France, contre plus de 10% au Royaume-Uni et 7,5% aux Etats-Unis. L’immigration vers l’Hexagone apparaît aussi moins diversifiée que dans beaucoup de pays riches avec une sous-représentation des personnes venues de Chine, d’Inde ou du Brésil. « C’est dommage car il est démontré que les immigrés favorisent les échanges commerciaux et le flux de capitaux avec leurs pays d’origine », poursuit Hillel Rapoport.
Coût pour le budget de l’Etat
Autre controverse récurrente: le coût de l’immigration pour le budget de la France. Le RN le chiffre entre 10 et 70 milliards d’euros et compte sur son arrêt pour financer nombre de ses promesses coûteuses. En réalité, deux organismes – l’OCDE et le CEPII – se sont sérieusement penchés sur cette question et les deux aboutissent à un coût avoisinant 0,3% du PIB, soit 7,3 milliards d’euros. « Au cours des trente dernières années, l’immigration n’a jamais représenté un déterminant majeur du déficit budgétaire », relevaient d’ailleurs les députés Stéphanie Do (LREM) et Pierre-Henri Dumont (LR) dans leur rapport sur l’évaluation des coûts et bénéfices de l’immigration. Tout en soulignant que « l’impact sur les finances publiques est un peu plus négatif en France que dans les autres pays de l’OCDE en raison du faible taux d’emploi des immigrés et de l’ampleur redistributive du système socio-fiscal français ».
En fait, si les immigrés rapportent 15% de moins d’impôts et de cotisations sociales que les non immigrés du fait de revenus inférieurs, ils perçoivent aussi des retraites moins élevées et recourent proportionnellement moins aux remboursements de soins. « En termes de dépenses publiques, les moindres versements de retraite compensent grosso modo le surcroît d’autres prestations sociales en matière d’aides au logement ou de minimas sociaux », note Cédric Audenis. Le problème, c’est que la surreprésentation des immigrés dans les logements sociaux ou parmi les bénéficiaires du RSA est plus visible et renforce l’image erronée d’une immigration qui coûte très cher à la collectivité. Et, sur ce sujet inflammable, la perception pèse parfois plus que la réalité.
Les origines de l’immigration
277.406 titres de séjour délivrés pour la première fois en 2019. Dont: 90.502 pour motif familial. 90.336 pour des étudiants. 39.131 pour raison économique. 37.851 pour raison humanitaire/droit d’asile. Source: ministère de l’Intérieur.
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