Des dizaines de milliers de Soudanais ont manifesté jeudi dans des rassemblements pro-civils et pro-militaires dans plusieurs villes du pays, dont Karthoum. Des appels au calme ont été lancés et le général Abdel Fattah al-Burhane, à la tête des autorités intérimaires, a réitéré son attachement à la transition démocratique amorcée il y a deux ans.
Khartoum peut-elle être le terrain d’une possible épreuve de force entre camps rivaux au Soudan ? Les partisans du régime militaire tiennent un sit-in devant le palais présidentiel depuis ce week-end, tandis que les pro-civils appelaient, jeudi 21 octobre, à une manifestation dans les rues de la capitale soudanaise. L’union sacrée qui avait prévalu entre eux, en 2019, contre Omar el-Béchir, semble avoir fait long feu.
Prenant la rue dans une démonstration de force face à une transition qui s’enlise, ils ont scandé « le peuple a choisi les civils » à Khartoum et Oumdourman, sa ville-jumelle, l’emportant en nombre sur les partisans d’un « gouvernement militaire » qui ont planté le 16 octobre leurs tentes devant le palais présidentiel. Pour éviter les heurts, les pro-civils ont soigneusement éviter d’approcher de ce campement aux portes du siège des nouvelles autorités de transition.
Partout, les défilés se sont déroulés dans le calme et la plupart des manifestants sont rentrés chez eux en soirée. Un seul incident a eu lieu, à Omdourman, où la police a tiré des grenades lacrymogènes sur un cortège aux portes du Parlement. Lundi déjà, la police avait dispersé de la même manière des pro-armée aux portes du QG du gouvernement.
Insistant pour la première fois sur « le partenariat entre civils et militaires », le général Abdel Fattah al-Burhane avait semblé, mercredi soir, vouloir rassurer la Britannique Vicky Ford, en charge de l’Afrique pour la diplomatie de la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale toujours influente au Soudan.
Les civils, partis, groupes rebelles et syndicats, réunis au sein d’une coalition, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), sont parvenus à pousser l’armée, en 2019, à démettre l’autocrate après 30 ans de dictature. Aujourd’hui, cette coalition est divisée. Se détachant du canal historique – qui continue de revendiquer un transfert complet du pouvoir aux civils -, une faction mobilise ses partisans depuis samedi, et organise un sit-in annoncé comme « illimité » devant le palais présidentiel de Khartoum.
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« Le Soudan a choisi une voie médiane »
L’escalade des tensions dans ce pays troublé de 40 millions d’habitants a déclenché de fortes inquiétudes dans la région et au-delà, mais les experts ne semblent pas surpris. Selon la professeure Natasha Lindstaedt, de l’université d’Essex, il est remarquable que la difficile transition soit allée aussi loin au Soudan, soulignant l’héritage toxique de trois décennies sous un régime autocratique.
« Omar el-Béchir était un dictateur, et en poussant son culte de la personnalité, il a provoqué le délabrement des institutions, laissant derrière lui un État faible et un vide institutionnel », explique-t-elle à France 24. « Avec ce type de régime, ce qui suit souvent est l’effondrement complet et le chaos, comme dans l’Irak de Saddam Hussein, la Libye de [Mouammar] Kadhafi ou le Yémen de [Ali Abdullah] Saleh. »
Au lieu de cela, l’ »entreprise monumentale » de l’éviction d’Omar el-Béchir a donné lieu à relativement peu d’effusion de sang – hormis la répression des manifestants en juin 2019 – et, jusqu’à présent, à une transition cahoteuse mais largement pacifique, note Natasha Lindstaedt, qui a notamment écrit sur les tentatives de transition de régimes autoritaires à des régimes démocratiques.
« Cela aurait pu tourner à la guerre civile, mais ça n’a pas été le cas », dit-elle. « Certains craignaient un plongeon dans le chaos à la libyenne ou une prise de pouvoir militaire, comme en Égypte. Finalement, le Soudan a choisi une voie médiane, même si l’unité entre civils et militaires est en grande partie une façade. » Signe que la rivalité ne faiblit pas, les deux camps ont tenu, mercredi, des conférences de presse simultanées.
« Un mariage difficile »
« Le gouvernement de transition a fait quelques progrès, par exemple, en négociant des accords de paix avec les rébellions, en matière de justice et de réconciliation, de libertés dans l’espace public et de prisonniers politiques », explique David Kiwuwa, professeur d’études internationales à l’université de Nottingham-Ningbo, contacté par France 24. « Mais, en fin de compte, ce sont les questions de pain et de beurre qui constituent la véritable préoccupation urgente. »
Après avoir précipité la chute d’Omar el-Béchir en 2019, la spirale des prix du pain – un déclencheur traditionnel des soulèvements populaires – peut-elle aider maintenant les militaires à renverser les dirigeants civils ?
Selon le professeur de la branche chinoise de l’Université de Nottingham , l’armée soudanaise hésitera à tenter le genre de prise de pouvoir qui a porté Abdel Fattah al-Sissi dans l’Égypte voisine, mettant brutalement fin à l’expérience démocratique du pays.
L’accord de partage du pouvoir au Soudan « a toujours été un mariage difficile », affirme David Kiwuwa. Et il ajoute : « Mais nous n’avons pas nécessairement atteint un point de basculement. Les militaires craignent toujours d’être vus en train d’écarter leur partenaire civil, ce qui signifierait l’échec de la révolution et déclencherait une colère généralisée. Elle a besoin de l’aide des civils ».
Pression internationale, notamment des États-Unis
À cela s’ajoute la pression internationale. Depuis plusieurs jours, Khartoum – dont la transition semble de plus en plus fragilisée – connaît un véritable ballet diplomatique.
Mercredi, le haut diplomate américain Payton Knopf a rencontré le Premier ministre, Abdallah Hamdok, qui a répété vouloir « aller au bout des objectifs de la révolution », selon un communiqué. Et cela, avant une visite, en fin de semaine, de l’émissaire des États-Unis pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey Feltman, selon l’agence officielle Suna.
Washington a prévenu que toute prise de pouvoir militaire entraînerait un retour aux sanctions qui ont paralysé le pays sous le régime d’Omar el-Béchir, ainsi qu’une remise en cause de l’annulation de la dette et des financements internationaux qui figurent parmi les plus grandes réussites de la transition.
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C’est actuellement ce Conseil de souveraineté, composé de militaires et de civils, qui supervise la transition avec le gouvernement emmené par le technocrate Abdallah Hamdok, un ancien économiste de l’ONU.
« Le Soudan est confronté à un problème existentiel, à savoir comment construire un Soudan pour tous les Soudanais », conclut David Kiwuwa. « Mais il faut d’abord parvenir à une certaine forme de consensus afin de comprendre quelles institutions construire. »
Avec AFP
Analyse en anglais par Benjamin Dodman
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