Une quinzaine de tournées en autant d’années, trente pays visités à l’issue de la visite débutée dimanche 17 octobre : Recep Tayyip Erdogan revient sur le continent africain avec des ambitions en constante progression. A deux mois du troisième sommet Turquie-Afrique qui doit se tenir à Istanbul en décembre, le chef de l’Etat effectue un voyage de trois jours devant le mener en Angola, au Togo et au Nigeria. Le partenariat avec ce continent est « stratégique » pour son pays, a-t-il déclaré.
Si Ankara a un temps envisagé sa relation avec l’Afrique sous un horizon avant tout commercial, porté par un argument qui fait mouche : « Moins cher que les produits européens et de meilleure qualité que les chinois », les perspectives se sont depuis élargies au champ sécuritaire. Comme le rapporte la lettre spécialisée Africa Intelligence, une importante délégation du Savunma Sanayii Baskanlıgı, l’agence qui pilote l’industrie militaire turque, est du voyage. « La Turquie affiche aujourd’hui une vraie politique de puissance complète où le soft power installé par le commerce, la culture islamique et les ONG est couplé au hard power avec la vente d’armements », analyse Dorothée Schmid, la responsable du programme Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
La première étape de M. Erdogan en Angola devrait comporter une forte tonalité économique. L’objectif annoncé d’Ankara est de porter les échanges bilatéraux avec ce pays de 176 millions à 500 millions de dollars (de 152 millions à 431 millions d’euros) annuels. L’ouverture récente de la liaison Luanda-Istanbul par Turkish Airlines devrait y contribuer : la compagnie aérienne qui dessert désormais près d’une soixantaine de destinations africaines est un outil d’influence efficace.
Sus au mouvement güleniste
Au-delà de ses richesses pétrolières, l’Angola est également une puissance régionale sur laquelle la Turquie peut s’appuyer pour affirmer ses ambitions en Afrique centrale, notamment en République démocratique du Congo (RDC). Recep Tayyip Erdogan a rencontré le président de RDC, Félix Tshisekedi, en septembre, notamment pour le remercier de son implication dans le combat contre le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen.
Depuis le putsch manqué de juillet 2016, le pouvoir turc n’a cessé de traquer les réseaux et les proches de son ancien mentor. Et le continent africain – où ce dernier fit un temps figure d’avant-garde des intérêts turcs avec ses écoles de qualité, ses hommes d’affaire et ses diplomates – n’échappe pas à cette chasse internationale. En mai, le neveu de Fethullah Gülen a été « kidnappé » au Kenya selon sa famille.
Les questions autour de l’« organisation terroriste Fetö », selon les termes d’Ankara, pourraient également être au sujet des discussions avec le président du Nigeria, Muhammadu Buhari. Le dernier entretien entre les deux hommes avait été tendu. « Du côté nigérian, on a été proche de la rupture », indique une bonne source, le président Buhari acceptant mal l’insistance de son homologue turc pour que les établissements gülenistes soient fermés au plus vite.
Reste que dans sa stratégie d’expansion, la Turquie, qui sait au besoin se montrer flexible sur ses principes, ne peut s’opposer au géant économique d’Afrique de l’Ouest. Officiellement, trois accords devraient être signés dans les domaines des hydrocarbures, de la métallurgie et de l’énergie, a annoncé Ankara mais la coopération militaire devrait aussi être au menu.
Prisme géopolitique
Le 11 octobre, le gouverneur de l’Etat de Zamfara, dans le nord-ouest du Nigeria, a annoncé un accord en vue d’acquérir deux drones armés d’une société privée turque « pour combattre le banditisme et l’insécurité », précisant que leur fourniture sera « consolidée » lors de la rencontre entre les deux chefs d’Etat. Ankara aurait déjà fourni des engins de ce type à l’Ethiopie et au Maroc, selon la presse.
En sera-t-il de même pour le Togo, la dernière étape de ce voyage, un pays qui s’inquiète d’infiltrations djihadistes à sa frontière nord et ambitionne de renforcer sérieusement son armée ? « Aucun accord n’est confirmé pour l’instant », assure Robert Dussey, le ministre togolais des affaires étrangères, pour qui cette visite doit être comprise sous un prisme géopolitique. « Nous n’avons pas les mêmes moyens que les deux puissances que sont l’Angola et le Nigeria. Si le président Erdogan a choisi de s’arrêter au Togo, c’est principalement par intérêt pour notre influence sous-régionale », dit-il.
Outre le président Faure Gnassingbé, le chef de l’Etat turc devrait également rencontrer à Lomé les dirigeants du Burkina Faso et du Liberia. Plus ancien président en exercice d’Afrique de l’Ouest, le dirigeant togolais mène une diplomatie active qui lui permet d’entreprendre des médiations avec les rebelles tchadiens ou d’avoir une oreille attentive de la part des militaires au pouvoir au Mali. « La Turquie considère l’instabilité de certains pays africains comme une opportunité. Elle a ainsi tout de suite tenté de capitaliser sur le coup d’Etat au Mali pour renforcer sa présence au Sahel », explique Dorothée Schmid. En août 2020, le chef de la diplomatie turque a été le premier haut responsable étranger à rencontrer les putschistes maliens.
Cette stratégie conquérante a eu pour laboratoire la Somalie avec une action mêlant soutien aux institutions, assistance humanitaire au nom de la solidarité islamique, investissement dans la reconstruction et ouverture d’une base militaire. Désormais à l’œuvre au Sahel, elle est progressivement devenue un motif d’inquiétude à Paris. M. Erdogan ne manque d’ailleurs pas une occasion d’égratigner la France pour son passé africain, promettant devant la presse que les Turcs « n’adopteront jamais les anciennes politiques coloniales avec des moyens modernes. »
Rouleau compresseur
Pour Paris, la Turquie cherche désormais au Sahel « à s’imposer, à s’infiltrer dans les interstices et toujours à nous discréditer », ainsi que l’indiquait, en janvier, devant les députés Florence Parly, la ministre des armées.
En juillet 2020, le Niger et la Turquie ont signé un accord de défense dont les closes sont restées secrètes. A l’état-major des armées, certains stratèges envisagent désormais la possibilité d’une confrontation directe sur le continent africain entre militaires français et soldats réguliers ou mercenaires turcs.
Pour l’heure, la Libye, avec un engagement militaire décisif au côté du gouvernement de Tripoli reconnu par les Nations unies, demeure le succès le plus visible de la Turquie en Afrique. Ankara a cependant déjà connu son lot de défaites diplomatiques avec la chute de régimes amis comme celui d’Ennahda en Tunisie, des Frères musulmans en Egypte, d’Omar Al-Bechir au Soudan ou d’Alpha Condé en Guinée. Sans pour autant voir sa dynamique de conquête enrayée sur le continent.
Comme le résume le chercheur Benjamin Augé de l’IFRI, « malgré les échecs, le rouleau compresseur diplomatique et commercial continue de progresser. » Les chiffres sont éloquents. En vingt ans, le nombre d’ambassades turques en Afrique est passé de neuf à quarante-trois et le volume des échanges commerciaux de 4 milliards à 26 milliards de dollars.
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