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“Les esclaves ne feront pas la fête dans notre village” : la violence du système des castes au Mali

Publié le : 14/10/2021 – 15:27

Un groupe de personnes qui célébraient le jour de l’indépendance du Mali a été brutalement attaqué le 28 septembre dans la région de Kayes, dans l’ouest du pays. Pieds et poings liés, des habitants considérés comme des « esclaves » ont été publiquement humiliés. Ces violences, qui ont fait un mort et plusieurs blessés, soulignent la persistance du système « d’esclavage par ascendance », malgré l’abolition du travail forcé et de la servitude dans le pays.

Plusieurs vidéos amateur ont documenté l’enchaînement des événements, le 28 septembre, dans le village de Souroubiré, dans l’ouest du Mali, où les castes sociales traditionnelles sont toujours la norme. L’esclavage a été interdit au Mali en 1905, mais les descendants d’anciens esclaves sont toujours étiquetés comme tels, les enfants héritant du statut “d’esclave” par leur mère.

Ce 28 septembre, la journée avait pourtant commencé dans la joie, avec une fête commémorant l’indépendance du Mali organisée par les descendants d’esclaves, quelques jours après la date de l’indépendance malienne, le 22 septembre, afin d’éviter d’interférer avec une fête organisée par des « nobles » plusieurs jours auparavant. La célébration avait été organisée par des membres de l’Association contre la domination et l’esclavage (ACDE), une association anti-esclavagiste malienne. Mais elle s’est poursuivie dans la violence, le sang et l’humiliation lorsqu’un groupe de personnes se considérant comme des “nobles” ont attaqué ceux considérées comme “esclaves”.

En raison de la violence des vidéos, la rédaction des Observateurs a choisi de n’en diffuser que des captures d’écran.

Capture d’écran d’une vidéo prise le 28 septembre montrant deux membres de la caste des “esclaves” ligotés et battus. © Observateurs

Les membres de la caste des “esclaves” sont régulièrement privés de leurs droits et humiliés, et pendant les fêtes dans la région de Kayes. Les “nobles” s’attendent par exemple à ce qu’ils abattent les animaux et cuisinent pour eux en vertu de leur statut jugé inférieur. La rédaction des Observateurs de France 24 s’était rendue au Mali en 2019 pour rencontrer des victimes de ce système.

>> Voire notre reportage en avril 2019 sur le système de castes au Mali :

 

 

« Les nobles ont commencé à arriver de toutes parts, essayant d’empêcher notre fête »

Seydou (pseudonyme) était présent à la fête dans le village de Souroubiré, quand les “nobles” sont arrivés.

Nous voulions organiser une fête, d’une durée de 12 heures, à partir du 28 septembre. Il y avait beaucoup de gens de l’association contre l’esclavage.


Vidéo de la fête de l’indépendance du 28 septembre partagée avec l’équipe des Observateurs de FRANCE 24. Dans la vidéo, un groupe de personnes, dont de jeunes enfants, danse sur de la musique. Certaines personnes portent des t-shirts avec le nom de l’association anti-esclavagiste.

On voyait des patrouilles autour de la célébration, et nous leur avions montré le papier de la municipalité qui nous donnait l’autorisation d’organiser l’événement. Un homme est venu à la fête, a demandé à voir les organisateurs et nous a dit d’arrêter notre musique. Nous l’avons fouillé et avons trouvé un pistolet dans sa poche, que nous avons emmené à la mairie comme preuve qu’on cherchait à venir blesser ou tuer nos membres.

Après cela, les nobles ont commencé à arriver de toutes parts, essayant de nous empêcher de faire notre fête. Ils avaient des bâtons et des machettes. Ils ont dit : “Personne ne bouge” et:  “Les esclaves ne feront pas de fête dans notre village”. Nous avons arrêté notre musique. Ils ont commencé à lancer des pierres en direction de la fête et ont blessé des personnes. Ils avaient des fusils et ont tiré en l’air pour nous faire peur.


Une vidéo transmise à la rédaction des Observateurs de FRANCE 24 montre un groupe de jeunes hommes de la caste « noble » portant des bâtons et des machettes.

« Les gens qu’ils capturent refusaient d’être appelés ‘esclaves’ »

Nous avons tous essayé de nous enfuir, mais certaines personnes n’ont pas réussi. [Les nobles] en ont attrapé d’autres, les ont battues et ligotées. J’ai réussi à m’échapper et à me cacher dans un champ. Certaines personnes se sont excusées et s’en sont remises à eux, mais d’autres ont riposté, refusant d’être appelées esclaves. Beaucoup de gens ont été blessés. Ils ont gardé ceux qu’ils ont capturés pendant huit heures avant de les relâcher.

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Au moins douze personnes ont été grièvement blessées dans l’attaque, dont l’une est décédée des suites de ses blessures quelques jours plus tard, selon l’ACDE.

« Les tensions existaient bien avant cet incident »

Bien que la caste des “nobles” n’ait pas une quelconque propriété légale des “esclaves”, la discrimination et les abus persistent. Ceux qui sont considérés comme “esclave” ne sont pas autorisés à épouser quelqu’un d’une autre caste, ne peuvent pas occuper de postes de direction et vivent souvent séparés des autres classes.

Mahamadi Kanouté est secrétaire général de l’Association contre la domination et l’esclavage de la région où s’est produite l’attaque.

Notre association lutte contre la pratique de l’esclavage d’ascendance. Mais il y en a d’autres qui revendiquent leur statut de nobles, qui disent qu’il est normal de se battre à tout prix pour conserver les règles traditionnelles. Il y a une classe noble et une classe d’esclaves, chacun a son statut social.

Les esclaves s’organisent et créent des associations depuis 2019, pour attirer l’attention et lutter contre le phénomène de l’esclavage par filiation. Dans le village de Souroubiré, les nobles et les esclaves cohabitent. Mais les tensions ont existé bien avant cela. 

Cette attaque a été précédée de quatre autres cas similaires – et dans les premiers cas, personne n’a été poursuivi. Cette fois, nous avons besoin d’un véritable suivi juridique pour que les coupables et les complices puissent être jugés selon la loi. Pour qu’ils puissent être punis et servir d’exemple afin que cela ne se reproduise plus.

Selon l’ONU, en 2021, deux fois plus de personnes ont été blessées dans des attaques liées à l’esclavage qu’en 2020.

Entre janvier et juillet 2021, 62 personnes ont été blessées dans des attaques similaires. En mai 2021, une centaine de personnes, dont plus de la moitié étaient des enfants, ont dû fuir leur village après avoir refusé d’être appelés esclaves. En juillet, 12 personnes ont été blessées après que des hommes brandissant des armes à feu et des machettes ont attaqué des personnes de la classe des esclaves pour les empêcher de travailler dans leurs champs.

« Nous craignons qu’il y ait encore plus de violence et de conflits si nous nous rebellons »

Ces violentes attaques ont empêché la caste des esclaves et les associations anti-esclavagistes de se soulever contre les nobles, selon Seydou, victime de l’attaque de Souroubiré :

On a le sentiment que les nobles ont le soutien des politiques et des autorités, notamment parmi les préfets locaux, voire de la police. La classe des esclaves étant plus nombreuse que les nobles, nous avons décidé de refuser d’être appelés esclaves. Mais nous craignons qu’il y ait encore plus de violence et de conflits si nous nous rebellons.

Bien que l’esclavage formel ait été aboli en 1905, aucune loi actuelle n’interdit la pratique discriminatoire de l’esclavage fondée sur l’ascendance. Des associations anti-esclavagistes telles que l’ACDE appellent régulièrement les autorités à promulguer une loi interdisant cette pratique.

Source

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