Ajar tourne en rond dans la cour d’un centre d’hébergement pour sans-abri, dans le centre de Bialystok, une ville polonaise située à 50 kilomètres de la Biélorussie. « Vous devez aller à la frontière, il se passe des choses terribles là-bas. Beaucoup de gens souffrent et ont besoin d’aide. Vous devez les aider ! », supplie ce Kurde syrien de 36 ans. Vêtements soignés et barbe carrée minutieusement taillée, il enchaîne les cigarettes et les coups de téléphone.
Avec sa femme et ses deux enfants de 5 et 10 ans, ils ont conscience de faire partie des chanceux : l’infime minorité de migrants qui a réussi à passer entre les mailles du filet d’une frontière que certains réseaux sociaux arabes commencent à décrire comme « plus difficile » que la voie par la Méditerranée.
Depuis que le régime d’Alexandre Loukachenko a organisé, au milieu de l’été, une filière de transfert de migrants du Proche-Orient et d’Afrique via Minsk, la capitale biélorusse, la pression migratoire sur les frontières polonaises et lituaniennes ne cesse de croître. Les deux pays, ainsi que les autorités européennes, parlent de « guerre hybride » menée contre l’Union européenne (UE).
« Nous avons conscience d’être des pions dans une guerre politique. Mais nous préférons cette guerre-là, entre deux pays, à la vraie guerre, entre les balles », soupire Ajar. Ce commerçant, ancien professeur de psychologie à l’université d’Alep (Syrie), parfaitement anglophone, est parti trois semaines plus tôt de Kameshli, à la frontière turco-syrienne. Les réseaux sociaux regorgeaient alors de propositions pour rejoindre l’UE via la Biélorussie. Le voyage jusqu’à Minsk lui aura coûté, par l’intermédiaire d’une agence, 4 000 dollars américains (3 450 euros) par personne.
Son vol en partance d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, via Dubaï (Emirats arabes unis) était plein « à 95 % » de personnes dans sa situation. « Une fois arrivés à Minsk, on nous a pris en charge et placés dans un hôtel. Un bâtiment de treize étages, presque plein. » Tous ont ensuite rejoint la frontière en taxi.
Refoulements illégaux
Après trois jours d’errance avec sa famille, il a décidé de faire appel à des passeurs biélorusses. « Dans un camion de type militaire, ils nous ont emmenés à une rivière, où ils nous ont fait passer en bateau. » S’ensuit une marche de plus de dix heures, à travers des marécages, avec l’aide du localisateur GPS de son téléphone.
« La forêt est pleine d’hommes, de familles, d’enfants. Certains y passent plus de deux semaines, sans réserve d’eau ni de nourriture. Les gardes biélorusses les forcent à passer la frontière puis les Polonais les refoulent. Ils sont coincés. » Les températures, la nuit, avoisinent désormais 0 °C, et rares sont les migrants qui étaient prêts à affronter les immenses forêts de Podlachie, aussi épaisses qu’humides, où le soleil est rare et le ciel est lourd.
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