La liste des près de 4 000 entités et individus jugés trop dangereux par Facebook pour exister sur le réseau social a été publiée par le site The Intercept mardi. Un document qui fait la part belle à la menace terroriste issue du monde musulman moins du danger posé par l’extrême droite suprémaciste.
Le GUD (Groupe union défense, un mouvement étudiant d’extrême droite), le groupuscule extrémiste Génération identitaire, le site d’extrême droite Égalité et réconciliation ou encore le groupe de musique néonazi Elsass Korp font partie des mouvements et individus dont Facebook ne veut pas entendre parler sur sa plateforme.
En tout, onze entités françaises se sont retrouvées sur la liste des individus et organismes dangereux compilée par Facebook et rendue publique par le site américain d’investigation The Intercept, mardi 12 octobre.
D’Al-Qaïda à un criminel azerbaïdjanais
Cette liste était l’un des secrets les plus jalousement gardé par le géant américain des réseaux sociaux, qui avait résisté à plusieurs recommandations de son propre Conseil de surveillance. Les responsables de la plateforme ont toujours argué que lever le voile sur les cibles de cette censure pourrait leur permettre de la contourner.
Cette liste, qui compte environ 4 000 références, comprend aussi bien des groupes terroristes connus encore actifs – comme Al-Qaïda, l’organisation terroriste État islamique ou encore l’IRA irlandaise – que des personnalités de triste renommée, comme Adolf Hitler et les principaux dirigeants du IIIe Reich nazi ou encore feu le leader d’Al-Qaïda Oussama Ben Laden.
Impossible de poster des messages qui pourraient passer pour un soutien à ces individus ou organisation sans affoler les algorithmes de détection des contenus illégaux ou subir les foudres des modérateurs de contenus.
La liste de Facebook ne se limite pas à ces « stars » de la haine et de la violence. Elle cible aussi des individus beaucoup moins connus du grand public, comme le leader d’un gang criminel azerbaïdjanais ou un philosophe américain raciste qui prône un retour au féodalisme.
Toutes les personnes de ce grand annuaire de la haine sont persona non grata sur le réseau social. En revanche, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne.
En juin 2021, le réseau social a classé tout ce petit monde en trois catégories en fonction de « leur comportement en ligne et hors ligne, et plus particulièrement selon les liens entretenus avec la violence », indique le règlement officiel de Facebook.
Les trois niveaux de la haine
Les mouvements terroristes, gangs criminels violents ou encore les individus qui « incitent à la haine ou à la violence » contre des catégories de personnes appartiennent au niveau 1, c’est-à-dire qu’il est interdit d’y faire une référence qui ne soit pas purement factuelle ou négative, sous peine d’être censuré, voire banni de Facebook.
C’est dans cette catégorie que se trouvent Al-Qaïda et autres mouvements jihadistes violents, les cartels de la drogue sud-américains, ainsi que 250 mouvements suprémacistes blancs.
Les « acteurs violents non-étatiques » constituent le niveau 2 et désignent essentiellement des groupes armés qui s’en prennent en priorité à des États plutôt qu’à des civils. Plusieurs milices armées actives dans le conflit en Syrie s’y retrouvent, ainsi que des groupes comme l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan, ou encore les anti-Balaka, ces milices d’autodéfense majoritairement chrétiennes actives en République centrafricaine.
Il est possible de « louer » leurs actions non-violentes sur Facebook, mais pas de « manière substantielle ». À charge pour les modérateurs de contenus de juger à partir de quand une louange est trop appuyée…
Enfin, il y a le pot-pourri des individus et organismes dangereux regroupés au niveau 3. Il s’agit de tous ceux qui ne pratiquent pas la violence, mais tiennent régulièrement des discours haineux ou sont, aux yeux de Facebook, sur une pente dangereuse pouvant mener à la violence.
La plupart des groupuscules américains pro-Trump qui flirtent dangereusement avec la violence entrent dans cette catégorie. C’est aussi le cas des entités françaises dans le collimateur de Facebook. Cependant, les utilisateurs du réseau social peuvent écrire à peu près ce qu’ils veulent sur ces clients indésirables sans craindre les foudres des modérateurs.
Conforme à la liste noire des autorités américaines
Cette hiérarchisation en dit long sur la vision du monde de Facebook, selon la plupart des experts du terrorisme interrogés par The Intercept. « C’est une approche très americano-centrée de ce qui constitue une menace », résume le site.
Plus de la moitié des noms inscrits sur cette liste noire sont catalogués comme menace terroriste. Une catégorie presque exclusivement constituée d’individus et organismes basés au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est. « On a l’impression d’avoir affaire à une liste à deux vitesses avec les mesures les plus punitives réservées à des groupes ou communautés musulmanes », souligne Faiza Patel, codirectrice du Brennan Center for Justice, interrogé par The Intercept.
En effet, même si 250 groupes suprémacistes se retrouvent dans la même catégorie que les mouvements islamiques radicaux, l’écrasante majorité des milices américaines « antimusulmanes ou racistes répertoriées par des ONG comme le Southern Poverty Law Center sont absentes ou inscrites au niveau 3 », regrette Faiza Patel.
Cette liste, sans nécessairement relever du racisme, correspond à la vision sécuritaire américaine depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui place la menace islamiste au-dessus du reste.
D’ailleurs, une grande partie des noms mis à l’index par Facebook provient des listes des sanctions américaines établies par le département du Trésor à l’encontre d’organismes ayant des liens supposés avec des groupes terroristes.
C’est ainsi que la compagnie aérienne iranienne Mahan Air, une petite entreprise d’exportations britannique soupçonnée d’avoir aidé à financer des mouvements terroristes ou un studio de développement de jeux vidéo lié au Hezbollah, sont considérés comme plus dangereux que des groupuscules d’extrême droite américains, dont certains membres se sont adonnés à des vrais actes de violence, comme le mouvement Boogaloo.
Brian Fishman, qui s’occupe de surveiller les groupes extrémistes pour Facebook, a déploré ce qu’il a appelé sur Twitter des « raccourcis » faits par The Intercept. Il conteste, notamment, l’idée selon laquelle Facebook n’aurait fait que copier « les angoisses des autorités américaines », comme le dit The Intercept.
Facebook n’aurait, en fait, pas eu le choix. « Nous avons une obligation de suivre les lois américaines relatives aux entités désignées par les autorités comme des organisations terroristes étrangères et de les supprimer de notre plateforme », rappelle-t-il.
En d’autres termes, c’est une manière d’admettre que Washington peut contrôler, indirectement, qui a droit de citer sur ce réseaux à plus de deux milliards d’utilisateurs.
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