Le président français Emmanuel Macron a fait des petits réacteurs modulaires une priorité du volet nucléaire de son plan de 30 milliards d’euros pour l’industrie, dévoilé mardi. Une technologie présentée comme très prometteuse, surtout pour faire face à la concurrence de pays comme la Chine dans le domaine.
Emmanuel Macron en veut pour la France. Le président français a annoncé, à l’occasion de la présentation de son plan de 30 milliards d’euros pour l’industrie et les technologies, mardi 12 octobre, que « l’objectif numéro 1 était de faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille innovants ».
Cette nouvelle volonté française de miser gros sur les petits réacteurs modulaires, éléments essentiels d’une centrale nucléaire, constitue un changement de cap important pour un pays qui, comme la France, a développé une filière du nucléaire autour de réacteurs toujours plus gros, toujours plus puissants.
Petit réacteur deviendra grand, puis petit à nouveau
« Ces réacteurs modulaires génèrent, chacun séparément, une puissance inférieure à 300 mégawatt (MW). Ce qui est bien moins que la plupart des réacteurs actuellement en service qui produisent une puissance entre 950 MW et 1 300 MW. Certains d’entre eux, comme Flamanville, sont même capables de monter jusqu’à 1 600 MW », résume Giorgio Locatelli, expert en ingénierie des centrales nucléaires à l’école polytechnique de Milan, contacté par France 24.
Les éléments de ces réacteurs de plus petite taille sont typiquement construits en usine à la chaîne, puis transportés pour être assemblés sur site où ils peuvent, modularité oblige, être facilement adaptés aux besoins. C’est un peu le modèle Ikea appliqué au nucléaire.
Cette standardisation de la production est censée permettre de mieux maîtriser la fabrication de ces éléments essentiels d’une centrale nucléaire. Les retards accumulés sur le chantier de l’EPR Flamanville-3 ont démontré à quel point la mise en place d’un seul réacteur XXL pouvait être un chemin semé d’embûches.
Mais la course aux petits réacteurs modulaires à laquelle la France veut participer constitue en fait une sorte de retour en arrière – en ce qui concerne la taille. « On a commencé, dans les années 1960 par des petits réacteurs avant de basculer vers les plus grands pour réaliser des économies d’échelle », souligne l’expert italien.
Mais cette logique semble avoir atteint ses limites. « Des EPR comme à Flamanville coûtent non seulement très cher, ils sont aussi extrêmement longs et complexes à construire », note Giorgio Locatelli. Il faut donc non seulement réussir à lever des milliards pour les ériger, mais aussi trouver des acheteurs prêts à patienter parfois jusqu’à 10 ans pour commencer à avoir un retour sur investissement.
Un modèle pour faire face à la Chine
Un modèle économique qui n’est pas à la portée de tous. « Ces gigantesques réacteurs nécessitent des modèles de financement et une capacité à mobiliser des savoir-faire qui sont des éléments de plus en plus inaccessibles, sauf dans des pays où les entreprises sont adossées à l’État, comme en Russie ou en Chine », estime Nicolas Mazzucchi, spécialiste des questions d’énergie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.
Pour lui, basculer vers les petits réacteurs modulaires constitue donc un choix stratégique pour la France afin de rester compétitif face à des pays comme la Chine, qui devient de plus en plus ambitieux dans le nucléaire.
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Et il y aura des marchés à remporter. « D’ici 2025, c’est-à-dire demain, près d’un quart de la capacité nucléaire existante dans le monde devrait être arrêtée parce les réacteurs seront devenus trop vieux », expliquent les auteurs d’une note – dont Nicolas Mazzucchi – sur les enjeux stratégiques des petits réacteurs modulaires, parue dans la Revue de l’énergie en juillet 2021.
D’ailleurs, les petits réacteurs nucléaires ne servent pas seulement à remplacer le parc vieillissant des réacteurs encore en service ou des centrales à charbon mises à la retraite au nom de la transition énergétique. « Comme c’est une technologie très flexible, on peut adapter ces unités à des programmes mixtes qui ne visent pas simplement à produire de l’électricité », souligne Giorgio Locatelli. « Ces réacteurs peuvent être utilisés pour le dessalement de l’eau – un enjeu important dans des régions comme le Moyen-Orient ou encore en Inde –, ils peuvent servir à la production d’hydrogène ou encore à la génération de chaleur dans les régions plus froides », énumère Nicolas Mazzucchi.
Leur sûreté peut aussi être, en théorie, un argument de vente par rapport à des réacteurs traditionnels. L’accident à la centrale de Fukushima en 2011 a durablement terni la réputation de sûreté de l’énergie nucléaire, et l’incident à l’EPR de Taishan en Chine en juillet 2021 a démontré que les réacteurs les plus récents ne sont pas non plus à l’abri de soucis techniques.
Face à cela, les petits réacteurs nucléaires ont « en théorie un potentiel de sûreté intéressant car ils contiennent, par définition, moins de matières nucléaires. Les rejets radioactifs en cas d’accident peuvent être limités par ce plus faible inventaire et des dispositions de sûreté qui seront mises en place », résume Karine Herviou, directrice générale adjointe chargée du pôle Sûreté des installations et systèmes nucléaires à l’IRSN, contactée par France 24.
Des options propres aux petits réacteurs peuvent aussi être proposées « pour évacuer la puissance résiduelle qui continue à être produite par le cœur du réacteur après son arrêt », ajoute cette spécialiste. C’est cette puissance résiduelle qui est à l’origine de la fusion du cœur des réacteurs à la centrale de Fukushima et à celle de Three Mile Island aux États-Unis en 1979.
« Manque d’expérience »
Mais ça, c’est la théorie. « Pour les réacteurs dotés de systèmes innovants, les exploitants devront justifier de leur leur sûreté », assure Karine Herviou.
En fait, aucun des avantages supposés des petits réacteurs modulaires n’a encore pu être confirmé en pratique. Il y a environ 70 projets de petits réacteurs modulaires actuellement en cours d’élaboration dans le monde et la grande majorité en sont encore aux premiers stades de développement.
« Le principal souci avec cette technologie tient au manque d’antécédents », reconnaît Giorgio Locatelli, de l’école polytechnique de Milan. Et pas seulement pour la comparer avec les réacteurs traditionnels.
Il faut aussi partir de zéro pour construire toute la chaîne de fabrication, ce qui est coûteux. « Rien que la création du modèle peut coûter un milliard d’euros », souligne l’expert italien. Et ensuite, encore faut-il réussir à convaincre suffisamment de clients pour rentabiliser l’investissement. C’est la version nucléaire « du problème de l’œuf et de la poule : est-ce qu’il vaut mieux construire d’abord les chaînes de montage pour convaincre les acheteurs potentiels ou d’abord trouver à qui vendre ces réacteurs ? », conclut Giorgio Locatelli.
Et même si la course aux petits réacteurs modulaires n’en est qu’à ces balbutiements, la France « part avec du retard », souligne Nicolas Mazzucchi. Aux États-Unis, par exemple, il y a déjà au moins un projet qui a reçu le feu vert des autorités de sûreté, et tout un écosystème de start-up est en train de voir le jour autour de cette technologie, rappelle le site Scientific American.
C’est cependant encore loin d’être perdu. « La France a l’avantage de pouvoir s’appuyer sur une filière qui a fait ses preuves dans le nucléaire et qui maîtrise toute la chaîne depuis l’extraction dans les mines d’uranium jusqu’à la conception des réacteurs », assure Nicolas Mazzucchi. Et Paris a environ dix ans pour mettre tous ses acteurs du nucléaire en ordre de bataille pour les petits réacteurs modulaires, car le Commissariat français à l’énergie atomique estime qu’il « y aura un réel marché pour ce type de réacteur à partir de 2030 ».
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