Publié le : 12/10/2021 – 19:19Modifié le : 12/10/2021 – 19:24
Bien qu’interdit depuis le 30 août, le travail des enfants dans les mines continue au Cameroun : notre Observateur l’a constaté, images à l’appui, dans la mine de Kambélé, dans l’est du pays. Il s’est rendu sur ce site exploité artisanalement par des orpailleurs le 4 octobre, plus d’un mois après que le ministre des Mines a interdit l’accès aux mines aux enfants, à la suite de plusieurs éboulements.
Des enfants assis dans la boue, tamis ou bassine à la main. D’autres pieds et mains plongés dans un étang d’eau. Ils semblent ne pas avoir encore dix ans et exploitent déjà l’or de la mine de Kambélé, un village situé près de Batouri dans la région de l’Est, non loin de la frontière centrafricaine.
Le 4 octobre, le journaliste et blogueur Jean-Charles Biyo’o Ella s’est rendu sur place pour constater la situation. Il a envoyé ses images à notre rédaction.
« Les enfants grandissent pratiquement dans la mine »
Des milliers d’enfants viennent chaque jour sur le site minier de Kambélé pour chercher de l’or. Il y a des enfants de moins de 14 ans, mais on retrouve des enfants en très bas âge aussi. Le plus jeune que j’ai trouvé avait à peine un an. Ils accompagnent leurs parents surtout les femmes qui viennent travailler dans la mine. Certains enfants ont juste pour rôle de garder leur cadet encore bébé pendant que la mère travaille dans la mine.
Ceux un peu plus âgés fouillent sans protection dans la boue pour extraire de l’or qu’ils vont remettre à des orpailleurs en échange de quelque pécule. Pourtant dans le village, il y a une école primaire juste à côté de la mine. Les premiers jours de rentrée scolaire en septembre, il y avait 200 écoliers. Un mois après, ils ne sont plus que 45 dans l’école. Les enfants ont déserté l’école pour repartir dans les mines.
Des enfants dans la mine de Kambélé assis près d’un étang. © Jean-Charles Biyo’o Ella
Les parents n’ayant pas les moyens de payer les frais de scolarité et les fournitures scolaires, ils trouvent que le temps que l’enfant passera à l’école serait plus bénéfique pour la famille s’il travaillait dans la mine. Ils ne vont pas à l’école et grandissent pratiquement dans la mine.
Pourtant un arrêté ministériel pris le 30 août par Gabriel Dodo Ndocké, le ministre des Mines avait interdit strictement « l’accès des enfants mineurs aux sites d’exploration, d’exploitation minières sur toute l’étendue du territoire national, de même que toute forme de travail à l’intérieur desdits sites impliquant les enfants en deçà de l’âge obligatoire de scolarité tel que prévu par la réglementation en vigueur [la scolarité est obligatoire entre 6 et 14 ans, NDLR] ».
Une décision qui fait suite à des éboulements survenus fin mai et qui ont fait une dizaine de morts, dont de jeunes adolescents, dans les mines de Kambélé. Mais selon notre Observateur, cela n’a pas été suivi d’effet. Il poursuit :
Au contraire, il y avait deux à trois fois plus d’enfants dans les mines en octobre qu’en juin dernier. Les contrôles de la police, bien qu’ils soient inopinés, ne sont pas réguliers. Or il devrait y avoir un contrôle permanent pour lutter contre le phénomène. Les enfants sont en plus exposés à différentes maladies en raison de leur contact permanent aux produits toxiques comme le mercure [utilisé pour séparer l’or du sable, NDLR].
De jeunes garçons présents dans la mine de Kambélé. © Jean-Charles Biyo’o Ella
« Les personnes qui travaillent dans les mines n’ont pas les moyens de se soigner elles-mêmes »
Bezalel Ndifo Wafo est médecin généraliste au complexe hospitalier catholique de Batouri. Il est régulièrement confronté à des cas de pathologies liés à l’exposition au mercure. Il raconte :
En étant exposé de manière permanente au mercure, on peut l’inhaler ou l’ingérer accidentellement. Et dans ce cas, les voies respiratoires ou le système digestif peuvent être atteints. Les patients que nous recevons ont des problèmes pulmonaires, des lésions au niveau de l’œsophage ou de l’estomac. Or le mercure ne s’élimine pas facilement. Ces lésions peuvent donc entraîner des complications dans le long terme. On peut aussi développer des allergies au niveau de la peau.
Des personnes en train de laver des minerais dans un étang d’eau. © Jean-Charles Biyo’o Ella
Les femmes sont particulièrement vulnérables. Elles sont plongées dans l’eau jusqu’au niveau de la taille. Forcément les parties génitales sont en contact avec cette eau souillée au mercure. Elles peuvent donc avoir des lésions vaginales. L’exposition au mercure peut également impacter la vie fœtale et condamner le développement neurologique ou psycho-moteur de l’enfant qui va naître.
Malheureusement, les personnes qui travaillent dans les mines n’ont pas les moyens de se soigner elles-mêmes. Quand elles viennent, nous soignons les symptômes présents. Mais une fois soulagés, les patients retournent dans les mines et reviennent avec des symptômes encore plus graves. Il faut donc faire des examens approfondis ou déployer un plateau technique, mais soit nous ne l’avons pas, soit elles ne pourront pas payer. Il faut donc sensibiliser les populations sur les dangers liés à l’exposition au mercure.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Nico Landry Ndorman, délégué régional du ministère des Mines dans la région de l’Est n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Selon un rapport d’Interpol publié en 2021, la production annuelle artisanale aurifère au Cameroun, est évaluée à deux tonnes dont l’essentiel est produite dans la région de l’Est.
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