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Oui, il faut sortir de l’économie du « low cost »

On appelle en général capitalisme néo-libéral le modèle de capitalisme qui s’est développé dans tous les pays de l’OCDE à partir des années 1980, au départ surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Cette appellation est aujourd’hui trompeuse, car plusieurs caractéristiques du capitalisme ne sont plus libérales. En particulier, on sait que les entreprises ont développé des positions dominantes aussi bien sur le marché des biens que sur celui du travail, ce qui est l’inverse même de ce que souhaitent les libéraux.

À première vue, le capitalisme est devenu, plutôt que néo-libéral, un capitalisme actionnarial centré sur la perception de rentes. Toutes les évolutions peuvent être reliées à la volonté d’accroître le rendement des fonds propres pour les actionnaires, qui exigent des niveaux très élevés, de l’ordre de 13 à 15 %. C’est pour cela qu’il y a délocalisations vers les pays où les coûts salariaux sont faibles, qu’il y a déformation du partage des profits au détriment des salariés, qu’il y a endettement des entreprises pour racheter leurs actions et qu’il y a constitution de monopoles, ce qui permet d’accroître les marges bénéficiaires.

Les actionnaires reçoivent des rentes, puisqu’on assiste à des rentes de monopole et à une rémunération anormalement élevée des fonds propres par rapport aux taux d’intérêt sur les dettes publiques. Ces rentes se doublent de ce qu’on peut appeler des rentes monétaires : les politiques monétaires très expansionnistes conduisent, avec les taux d’intérêt très bas et l’excès de liquidité, à des hausses des prix des actifs (cours boursiers, valeur des entreprises, prix de l’immobilier) qui enrichissent les détenteurs de patrimoine.

Délocalisations et faibles salaires aussi favorables aux consommateurs !

On pourrait donc croire, au premier abord, que le capitalisme contemporain ne profite qu’aux actionnaires. Les perdants semblent aussi faciles à identifier : les salariés, en particulier ceux des secteurs que l’on peut aisément délocaliser. Mais la situation est en réalité plus complexe. En effet, les choix faits par le capitalisme dit « néo-libéral » ont aussi été favorables aux consommateurs. La faiblesse des salaires ainsi que les délocalisations vers les pays émergents aboutissent en effet à des prix bas pour ces derniers.

Il faut aussi comprendre que la faiblesse des salaires est la cause essentielle de la baisse de l’inflation depuis les années 1980, donc de la possibilité pour les banques centrales de mener des politiques expansionnistes, et des taux d’intérêt de plus en plus bas favorables aux emprunteurs.

Il y a donc une coalition de fait entre trois catégories d’agents économiques : les actionnaires et autres propriétaires des entreprises, les consommateurs, les emprunteurs. Et cela au détriment des salariés, en particulier ceux des industries délocalisables. Les situations individuelles sont néanmoins complexes vis-à-vis de ce système, puisque les salariés sont aussi consommateurs et, dans le monde anglo-saxon, actionnaires. C’est la solidité de cette coalition qui explique la persistance du capitalisme néo-libéral qui ne pourrait pas survivre s’il n’était soutenu que par les seuls actionnaires.

Accepter de sortir de l’économie du « low cost » et donc des prix les plus bas possibles

Il reste qu’on désire aujourd’hui bâtir un autre système qui serait plus favorable aux salaires, qui ne privilégierait pas les actionnaires, qui favoriserait les relocalisations. Il faut alors comprendre qu’il va falloir accepter de sortir de l’économie du « low cost », c’est-à-dire des prix les plus bas possible pour les consommateurs. Cela signifie aussi qu’il va falloir sortir des taux d’intérêt bas, avec le retour de l’inflation, ce qui est douloureux dans une situation où les taux d’endettement des secteurs public et privé sont très importants.

Par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis

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