L’OMS a annoncé, mercredi, le déploiement massif du premier vaccin antipaludique en Afrique, saluant un « fait historique ». Si ce vaccin ne permettra pas à lui seul d’éradiquer la maladie, il deviendra un nouvel outil au sein de l’arsenal antipaludique. Explications.
« C’est l’aboutissement de 30 ans de travail », s’exclame, tout sourire, Brian Greenwood, chercheur à l’École d’Hygiène et de médecine tropicale de l’université de Londres, contacté par France 24. Mercredi 6 octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé le déploiement massif d’un premier vaccin antipaludique chez les enfants vivant en Afrique subsaharienne et dans des zones à risque. Une étape décisive, pour ce scientifique qui a consacré l’ensemble de sa carrière à la question, mais pas finale, tant les défis pour éradiquer cette maladie restent nombreux.
Maladie très ancienne qui se manifeste par de la fièvre, des maux de tête et des douleurs musculaires puis par des cycles de frissons, fièvre et sueurs, le paludisme – ou malaria – tuerait un enfant toutes les deux minutes dans le monde, selon l’OMS. Sur les 400 000 décès comptabilisés chaque année, 94 % se trouvent sur le continent africain et concernent majoritairement des enfants de moins de 5 ans.
Un premier vaccin contre le parasite
Longtemps, la perspective d’un vaccin contre le paludisme semblait un Graal inaccessible. Au total, plus de 100 candidats-vaccins ont déjà été testés chez l’homme contre Plasmodium falciparum, le parasite responsable de la maladie. Sans résultats probants jusqu’ici.
« Il s’agit ici de développer un vaccin contre un parasite, et pas contre un virus. Et cela rend la tâche bien plus difficile », explique auprès de France 24 Benoît Gamain, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du paludisme gestationnel, c’est-à-dire touchant principalement les femmes enceintes. « Le parasite est un organisme complexe, avec plus de 5 000 gènes à prendre en compte, contre des dizaines pour un virus. C’est donc plus compliqué de trouver les bonnes cibles pour développer un vaccin efficace. »
« Par ailleurs, il faut que la protéine ciblée par le vaccin ne mute pas. Or, les parasites sont très doués, plus que les virus, pour échapper à la réponse immunitaire de l’hôte. »
Le vaccin qui a réussi à tirer son épingle du jeu est le Mosquirix, ou RTS,S, développé par le géant pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK). « Les scientifiques travaillent dessus depuis 1987, soit plus de 30 ans », rappelle Benoît Gamain. « C’est le plus développé à ce jour. »
Depuis 2019, le Mosquirix fait l’objet d’un programme pilote : plus de 2,3 millions de doses ont ainsi été administrées à des enfants au Ghana, au Kenya et au Malawi. Les résultats montrent qu’il « réduit le paludisme sous sa forme grave de 30 % », a déclaré Kate O’Brien, directrice du département Vaccination à l’OMS.
Dans le détail, les essais cliniques de phase 3 ont démontré que le vaccin, lorsqu’il est administré en quatre doses, prévient 4 cas de paludisme sur 10, et 3 cas sur 10 de paludisme grave menaçant le pronostic vital. Cela en fait donc le premier vaccin, et le seul jusqu’à présent, ayant montré une efficacité pour réduire significativement le nombre des cas.
Un outil de plus dans l’arsenal antipaludique
« L’annonce de l’OMS signe donc une avancée historique car c’est la première fois qu’un vaccin parasitaire va être déployé à grande échelle. Mais pour autant, avec son efficacité limitée, ce n’est pas le vaccin idéal », nuance Benoît Gamain.
Et le scientifique de poursuivre : « Cela ne va pas révolutionner la santé en Afrique subsaharienne mais il faut le voir comme une nouvelle arme dans la lutte contre la malaria. »
Si ce vaccin ne sera donc pas la clé pour éradiquer le paludisme, il s’agit d’un nouvel outil qui vient s’ajouter aux traitements préventifs et aux répulsifs déjà présents dans l’arsenal antipaludique. Un outil d’autant plus important à un moment où les craintes d’une résistance du parasite aux différents traitements augmentent.
Par ailleurs, selon une étude publiée fin août dans le New England Journal of Medecine, menée par Brian Greenwoord, une combinaison entre vaccin et traitement préventif pourrait réduire les hospitalisations et les décès dus à la maladie de 70 % chez les jeunes enfants.
Cette étude a suivi environ 6 000 nourrissons de cinq à 17 mois pendant trois ans, au Burkina Faso et au Mali. Les enfants ont reçu plusieurs doses de vaccin en parallèle de traitements antipaludiques à l’arrivée de la saison des pluies, où les risques de contamination sont les plus importants. « Cela a très bien fonctionné », se félicite Brian Greenwood.
« Ce vaccin imparfait sera toujours mieux qu’aucun vaccin », insiste-t-il. « Mais notre étude prouve l’importance de continuer à financer la recherche, notamment sur ces traitements préventifs. »
Vers des vaccins plus efficaces ?
En parallèle, d’autres vaccins suscitent l’espoir de la communauté scientifique. L’un d’eux, le R21/Matrix M, développé par l’Université d’Oxford, a ainsi montré des résultats très prometteurs en affichant, à l’issue de sa phase II, une efficacité de 77 %. La troisième phase a débuté auprès de près de 5 000 enfants au Kenya, en Tanzanie, au Burkina Faso et au Mali. Les résultats sont attendus en 2023.
En juillet, le laboratoire BioNTech avait, de son côté, indiqué vouloir lancer des essais pour un vaccin utilisant la technologie de l’ARN messager, dans la foulée des vaccins développés contre le Covid-19.
« Le développement d’un vaccin à ARN messager apporte effectivement de l’espoir », selon Benoît Gamain. « Malgré tout, si un vaccin utilisant cette technologie a été rapidement développé pour le Covid-19, c’est, notamment, parce qu’on connaissait la cible à viser : la protéine Spike. Ce n’est pas aussi évident pour le paludisme donc la tâche s’annonce beaucoup plus complexe. »
>> La lutte contre le paludisme souffre aussi du Covid-19
« Le prochain défi, c’est l’accès aux vaccins »
Avant le déploiement massif du vaccin RTS,S, de nombreux défis, logistiques cette fois-ci, vont aussi se poser. Le premier, et non des moindres, concerne le financement de ces vaccins.
« Il est primordial que le vaccin soit gratuit », réagit auprès de France 24 Olivia Ngou, présidente de l’ONG Impact Santé en Afrique. « Le paludisme touche principalement les enfants les plus vulnérables et en situation de grande pauvreté. Il est essentiel qu’ils puissent bénéficier de cette nouvelle arme. »
« Il va donc falloir rapidement s’atteler à la question des ressources : qui va financer ? À quelle hauteur ? », interroge-t-elle, appelant à une levée des brevets sur les vaccins. « De cette façon, nous pourrons les produire sur notre territoire et les déployer à moindre coût. »
De son côté, l’Alliance du vaccin (Gavi) a d’ores et déjà annoncé qu’elle allait examiner, ainsi qu’avec les autres acteurs concernés, « si et comment financer un nouveau programme de vaccination contre le paludisme dans les pays d’Afrique subsaharienne », dans un communiqué publié après l’annonce de l’OMS.
« Il va aussi se poser la question concrète de l’accès aux soins. La maladie touche en grande partie une population réfugiée ou nomade. Comment s’assurer que ces enfants vont pouvoir bénéficier des quatre doses nécessaires ? », soulève-t-elle. « Et évidemment, tout cela devra s’accompagner d’une grande campagne de sensibilisation pour rassurer les parents et les inciter à vacciner leurs enfants ».
« Cette annonce est une très grande avancée, qui nous donne beaucoup d’espoir pour la suite », conclut Olivia Ngou. « Mais il faudra s’atteler rapidement à ces obstacles logistiques. »
« Le travail est loin d’être terminé », abonde de son côté Brian Greenwood. « Il faut maintenant développer un vaccin plus efficace, valable pour d’autres catégories d’âge, renforcer les traitements préventifs… Il reste de nombreux défis. »
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