Tribune. Le plus surprenant concernant l’accord entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis (Aukus) a été le secret total qui l’a dissimulé avant qu’il soit jeté à la face de la France et du reste du monde. Mais pour ceux qui suivent les affaires du Pentagone, ce secret n’était pas une surprise. C’est un élément indispensable dans les contrats dits « assiette au beurre » (« pork barrel ») du Pentagone américain, comme les a appelés le maître incontesté de ceux qui s’y opposaient, le contrôleur des coûts de l’US Air Force Ernie Fitzgerald (1926-2019). Selon Fitzgerald, tous les projets corrompus du Pentagone n’ont que deux étapes. La première : garder le secret total, car, pour reprendre ses mots, « il est trop tôt pour dire » si le projet peut vraiment fonctionner. La deuxième, alors qu’une partie du secret a été dévoilée : d’accord, il y a quelques problèmes, mais maintenant, « c’est trop tard pour l’arrêter » !
En annonçant l’accord sur les sous-marins nucléaires sous le couvert de la stratégie internationale, il devient automatiquement « trop tard pour l’arrêter », même si les sous-marins sont loin d’être complètement conçus !
Les projets du Pentagone sont basés sur ce que Chuck Spinney, analyste retraité de l’US Navy, a appelé « la technologie politicienne ». Cela consiste à répartir des contrats de sous-traitance dans suffisamment de circonscriptions et d’Etats pour remporter un vote majoritaire à la Chambre des représentants et au Sénat américain. Les membres du Congrès qui ont permis qu’un projet passe recevront des contributions à leur campagne électorale de la part des entrepreneurs (c’est-à-dire des pots-de-vin légalisés). Ils obtiennent également des créations d’emplois dans leurs districts, blanchissent efficacement les contributions de la campagne, mais créent également une pression de l’opinion publique pour continuer à voter pour le projet, si coûteux et inadéquat soit-il. La « technologie politicienne » a été utilisée sur tous les grands projets d’armement du Pentagone qui ont fait l’objet d’enquêtes du Congrès ou de l’US General Accounting Office : le C-17, le bombardier B-1B, le V-22 Osprey, le F/A-18B…
Politique ou stratégie ?
Joe Biden a besoin de votes au Congrès dès maintenant. Son programme de lutte contre le réchauffement climatique, qui comprend également le type de programme social que la France a mis en place depuis plus d’un demi-siècle, ne tient qu’à un fil. Annoncé à 3 500 milliards de dollars, il sera certainement revu à la baisse. Au Sénat, le président n’a qu’une majorité d’une voix. Sa marge à la Chambre des représentants est presque aussi étroite. Dans ce contexte, chaque parlementaire peut monnayer sa voix. Mais les projets militaires, eux, obtiennent le vote de presque tout le monde : on veut les contrats « assiette au beurre ». Même si ce projet de sous-marins ne fait pas partie du programme à 3 500 milliards de dollars, certains sénateurs et membres du Congrès doivent une faveur à Biden.
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