LETTRE DE TOKYO
Les rues de Shibuya s’animent après plus de six mois sous état d’urgence en raison du coronavirus, à Tokyo, le 1er octobre 2021. KIICHIRO SATO / AP
A la tombée du jour, les enseignes et les lanternes de Nonbei Yokocho (« la venelle des pochards »), dans le quartier de Shibuya, à Tokyo, ont recommencé à briller. Elles signalent une quarantaine de minuscules bars, où l’on tient tout juste à cinq ou six. A Kabukicho, grand quartier nocturne de la capitale, les affaires reprennent et l’alcool est servi jusqu’à une heure avancée de la nuit – c’était déjà le cas en dépit de l’état d’urgence lié à la pandémie de Covid-19, mais désormais les clients sont plus nombreux.
Dans la capitale japonaise, les restrictions pesant encore sur les restaurants et les bars, qui doivent fermer à 21 heures, seront bientôt levées. Dans les faits, elles sont déjà ignorées. Et l’alcool recommence à être servi ouvertement. De petits établissements ont rouvert.
Après une augmentation alarmante des contaminations (plus de 6 000 cas par jour à Tokyo en août), qui avait provoqué un engorgement des hôpitaux, la vague est retombée (moins de 100 cas le 5 octobre). La campagne de vaccinations, marquée par un bien tardif et laborieux départ, s’est en outre accélérée : près de 70 % des Japonais ont reçu les deux doses. Les experts mettent néanmoins en garde contre une résurgence des contaminations avec l’arrivée de l’hiver.
Economiquement, les bars et les restaurants ont été les premières victimes des états d’urgence depuis 2020. Le dernier en date, entré en vigueur en juillet, leur interdisait de servir de l’alcool et exigeait qu’ils ferment à 20 heures. Mesures plus ou moins respectées : selon une enquête en août du quotidien Mainichi, 40 % des établissements de la capitale passaient outre, préférant, pour ceux qui avaient les reins assez solides, payer une amende et continuer à proposer de l’alcool.
Le pochard, « un évadé de la vie »
Comme ailleurs, l’alcool dénoue la parole, abolit les hiérarchies et fait sauter les imbibitions. A fortiori dans une société formaliste comme le Japon. Pour une soirée, les masques tombent et le salarié « exemplaire » perd sa rigidité.
L’ivresse excuse tout, ou presque. Le pochard est « un évadé de la vie », disait en français un ami japonais effectivement bien parti ce soir-là. La formule aux accents baudelairiens reflète ce que pensent nombre de ses compatriotes, qui sont indulgents, le plus souvent, pour ces « évadés de la vie ». Ils sont ignorés plus que gourmandés même si, titubants, ils invectivent le passant ou urinent dans une encoignure. Le pochard, dérivant et délirant, soutenu par ses amis eux aussi quelque peu avinés, est raisonné par les policiers, qui essaient de le mettre dans un taxi ou dans un train – auquel cas il risque de s’affaler de tout son long sur une banquette et d’arriver au terminus sans s’être aperçu qu’il avait raté sa station. Trop tard pour repartir en arrière, il finira au mieux dans un sauna ouvert toute la nuit.
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