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les visions de Steve Jobs en héritage

Dix années ont passé depuis la mort de Steve Jobs et Apple demeure un fleuron des nouvelles technologies. En compagnie de Jean-Louis Gassée, ancien cadre français d’Apple, qui a bien connu l’homme au col roulé noir, RFI détaille le legs du génial fondateur de la « marque à la pomme » : la vision tout comme les combats économiques d’un chef d’entreprise sous le climat californien.

Steve Jobs est mort il y a dix ans et son héritage au sein d’Apple perdure. À se demander : a-t-il véritablement quitté les murs de la société qu’il a créée ? Apple, société la plus admirée dans le monde (sondage Fortune), mais aussi première entreprise privée de l’histoire à atteindre une valeur de 2 000 milliards de dollars de capitalisation boursière, fascine toujours autant.

Jean-Louis Gassée a été l’un des cadres dirigeants d’Apple de 1981 à 1990, il a côtoyé Steve Jobs de très près. De passage à Paris, RFI a recueilli son témoignage pour faire la lumière sur les multiples facettes d’un héritage qui va au-delà des nouvelles technologies. 

« Il nous manque, c’était quelqu’un de flamboyant avec des côtés mélangés. Il ne faut pas verser dans la sanctification de Steve Jobs mais il a fait quelque chose qu’on n’a, je crois, jamais fait dans l’industrie. C’est-à-dire qu’il a fait Apple 2.0 avec son retour en 1997 durant lequel il a complètement retourné l’entreprise, sorti des produits très intéressants, changé les soubassements du Mac, lancé la conception de semi-conducteurs par Apple – dont les retombées sont actuelles – et surtout, il a sorti un produit comme l’iPod. L’iPod était, on ne le savait pas, on ne l’a pas tout de suite compris, le précurseur de l’iPhone. Tout était à l’intérieur, sans qu’on le sache, y compris les micro-paiements. Avec la bibliothèque musicale, on s’est aperçu – miracle ! – [Il sourit] qu’une application, c’était un fichier numérique tout comme une chanson. Il suffisait de mettre un index en disant : ça c’est de la musique, ça c’est une application. On n’a pu que constater l’éblouissant développement de l’iPhone, puis de l’iPad dont l’évolution n’est pas encore finie, selon moi. »

« Il y a toujours un climat d’invention dans la vallée 

Apple, Steve Jobs, c’est l’histoire d’un homme dans une vallée californienne particulière : la Silicon Valley, là où se trouvent Google, Facebook et tant d’autres.

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« Il y a toujours un climat d’invention dans la vallée. Je suis conseil chez Google X et cela demeure étourdissant ce que j’y entends et vois. Vous savez, il n’y a pas de bonne culture sans exagération, si on a une culture qui n’a pas d’excès, c’est une mauvaise culture : tout le monde est bien repassé et amidonné, mais ça ne va pas. Steve Jobs avait des excès, tout ce qu’il a fait n’était pas bien, la compagnie a été poursuivie pour des abus. Il y a eu aussi des flops, mais ça ne veut pas dire grand-chose à côté du bilan global qui est énorme. Avant sa mort, il était devenu un chef d’orchestre, un rédacteur en chef de projet, il n’écrivait pas dans le magazine mais c’était le rédacteur en chef. »

La musique continue à se jouer au sein d’Apple avec ce qu’il a pensé en termes d’organisation. Jean-Jouis Gassée décrit ce fonctionnement spécifique à Steve Jobs : 

« Apple est structurée par fonction et non par division. Microsoft fonctionne par division, au sein desquelles chacun se bat pour avoir des budgets etc… À Apple, il y a la fonction logiciel, service… et à l’intérieur, le personnel y est fluide, peut être affecté à un nouveau projet de façon parfois douloureuse pour des ingénieurs qui doivent abandonner ce qui leur tenait à cœur pour s’engager dans une dernière marche forcée pour la sortie d’une version de l’IOS par exemple. Surtout, avant de partir, Steve Jobs a embauché Tim Cook en lui ordonnant de ne jamais se demander ce qu’il – Steve – aurait fait à sa place. C’est remarquable comme consigne de la part d’un chef d’entreprise ». Jean-Jouis Gassée s’arrête. « C’est comme dire : ne cherche jamais à imaginer ce que j’aurais pu faire, fais selon ton instinct. Quel legs ! Un Steve Jobs, il y en a un tous les 50 ans, comme Elon Musk. »

« J’ai contribué à virer Steve Jobs d’Apple » 

Mais les péripéties de la vie ne sont pas toujours « amazing » (fantastique), comme aiment dire les Américains et Jean-Louis Gassée a eu une lourde tâche à exercer. Il sourit en demeurant très pensif : « J’ai contribué à le faire virer d’Apple, donc… » Il s’arrête à nouveau : « On va dire qu’il me l’a à moitié reproché parce que, quand moi-même je me suis fait virer, il m’a immédiatement appelé pour me recruter. Ce que j’ai refusé. Je ne me sentais pas la paix intérieure pour exister sous lui. Je n’ai pas un profil de numéro deux. »

Travailler avec Steve Jobs ne semble pas si simple : « C’est un séducteur, au charisme inhabituel et dangereux. Je me sentais en danger en face de lui, il est tellement convaincant et de temps en temps, comme en électromagnétisme, il y a un phénomène de « self induction ». Le conducteur émet un champ magnétique suffisamment fort pour influencer également l’émetteur. Steve finissait alors par trop croire à son baratin. Cela s’est mal passé pour le Macintosh, mais ça s’est très bien passé pour Pixar. Next a été un succès technique et un échec commercial. »* 

« Une véritable culture autour des états modifiés de conscience »

Le parcours, les réalisations de Steve Jobs attestent de visions singulières, voire hors-normes de sa part.

« Il est connu pour avoir pris du LSD à plusieurs reprises et de reconnaître que ses trips l’ont changé. Le livre de Michael Pollan, Voyage aux confins de l’esprit, en parle très bien et est très important car il met à jour une pratique fréquente dans la vallée. Je ne peux participer à un petit déjeuner sans rencontrer quelqu’un qui, soit prend des psychédéliques, soit connaît quelqu’un qui en prend. Il y a une véritable culture autour des états modifiés de conscience, il y a même une église à Berkeley qui aide ceux qui veulent consommer des champignons. Je pense que ces consommations de stupéfiants aident dans la Silicon Valley, mais il faut noter aussi que le simple fait de considérer que ça peut amener à penser différemment, vous fait penser différemment, comme un cercle vertueux. Cet effet placebo flotte continuellement dans l’air de la vallée. »

« Raconter pour que ça se propage : la force de Steve Jobs »

Steve Jobs est devenu mondialement connu lors de ses keynotes, les présentations des produits de l’entreprise Apple. Il était rare à l’époque qu’un chef d’entreprise vienne ainsi présenter ses produits avec autant d’enthousiasme et atteigne autant de popularité, c’est même devenu un véritable show.

« Un ami qui travaillait à Apple ces années-là m’a raconté que quelques jours avant la keynote, Steve demandait le travail de chacun. C’était parfois le chaos dans les prises de notes et l’organisation des idées, et lui, dans son coin, remettait tout en ordre. Il savait y découvrir un fil narratif, celui qu’il allait utiliser pour que les présentations deviennent fluides et brèves. Au fin fond de la Touraine, on pouvait alors comprendre l’effet technologique d’un iPad. » Il sourit : « Raconter pour que ça se propage, c’est cela la force de Steve Jobs. Son storytelling est impeccable, de toutes les façons si c’est trop compliqué, personne ne va en parler. »

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L’Apple Park, à Cupertino, est le reflet de Steve Jobs, raconte Jean-Louis Gassée : « Les nouveaux bureaux d’Apple, c’est son temple, sa présence se retrouve dans chaque détail. De la rampe d’escalier aux gigantesques portes de la cafétéria, il envoie un message important aux salariés : c’est comme cela qu’on fait les choses ici. Le style, le soin du détail, voilà comment on travaille ici. »

La tenue de Steve Jobs fut toujours la même : un col roulé noir à manche longue d’Issey Miyake, un jean 501 Levi’s bleu, une paire de New Balance 991 impressionne encore le fond de la rétine des fans d’Apple et des chefs d’entreprise suiveurs, désireux de marcher dans ses pas.

Détail architectural de l’Apple Park. Getty Images via AFP – JUSTIN SULLIVAN

« Son abandon, une blessure qui l’a propulsé ?

Je ne sais pas… »

Les circonstances de la naissance de Steve Jobs sont aussi particulières, tout comme la difficile relation qu’il a eue avec son premier enfant. Cela a-t-il déterminé le chef d’entreprise qu’il est devenu ? « Il a été blessé », assure Jean-Louis Gassée.

« Je me suis trouvé assis à côté de son père adoptif, Paul Jobs, lors d’une présentation Next. » L’ancien cadre d’Apple, jusqu’ici bavard et joyeux, s’éteint de nouveau. Il ne veut pas trop en dire ou ne sait pas trop quoi en dire. « C’est un sujet difficile, je ne peux pas en dire beaucoup plus. Il est redevenu un bon père de famille avec sa première fille, ça je le sais, c’est une histoire qui s’est plutôt bien terminée. Est-ce que son abandon est une blessure qui l’a propulsé ? Je ne sais pas… Je sais qu’il avait des rapports compliqués avec les hommes plus âgés que lui. Il me posait des questions sur la vie, auxquelles il est difficile de répondre. Il m’a demandé un jour, dans un avion en vol, si on pouvait rester amoureux toute sa vie. » Silence, puis sourire pensif de Jean-Louis Gassée : « Vaste sujet. » 

Existe-t-il une ligne de code pour cet « oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser » à laquelle Steve Jobs n’a pas pensée ?

* Steve Jobs, les dates importantes :

Le 24 février 1955 à San Francisco (Californie), naissance de Steve Jobs. 
Abandonné à la naissance par sa mère, son père biologique est restaurateur syrien. 
Sa mère adoptive raconte : « avoir été effrayée de l’aimer durant les six premiers mois de sa vie car elle avait trop peur qu’on lui reprenne. »
Le 1er avril 1976, Steve Jobs, Steve Wozniak et Ronald Wayne créent Apple à Cupertino. Un ami de Steve Jobs explique : « Woz était l’innovateur, l’inventeur. Steve Jobs était l’homme du marketing. »
La première fille de Steve Jobs, Lisa Brennan-Jobs, naît en 1978. Il nie en être le père, avant de la reconnaître comme sa fille à son adolescence.
Septembre 1985, Steve Jobs « quitte » l’entreprise pour fonder NeXT.
En 1986, Steve Jobs rachète la division Graphics Group de Lucasfilm, la transforme en Pixar Animation Studios.
Succès commercial en 1995 avec Toy Story, un film dont il est le producteur exécutif.
Début 1997, Apple, au bord de la faillite, rachète NeXT. 
L’opération permet à Steve Jobs de revenir à la tête d’Apple.
En 1998, Apple présente l’iMac.
En 2001, sorties simultanées de l’iPod, iTunes et la chaîne de magasins Apple Store.
En 2003, Apple créé l’iTunes Store.
En 2007, sortie de l’iPhone qui sera chaque année mis techniquement à jour, iPhone 13.
En 2010, sortie de l’iPad.
Le 5 octobre 2011, Steve Jobs meurt à Palo Alto.

À voir sur le site d’Apple un film en hommage en l’honneur de Steve Jobs.

Lors de la mort de Steve Jobs, le 5 octobre 2011. Getty Images via AFP – KEVORK DJANSEZIAN

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