LETTRE DE MOSCOU
Que Vitali Nalivkine fasse sauter au lance-roquettes une affiche électorale du parti au pouvoir, Russie unie, passe encore. Après tout, le « président du comité exécutif du district d’Oussouriïsk » essayait seulement de se débarrasser d’un sac suspect abandonné à un arrêt de bus… Et puis, surtout, chacun a bien en tête le caractère parodique de la scène : si Oussouriïsk est une ville bien réelle de l’Extrême-Orient russe, le titre de « président du comité exécutif de district » est imaginaire. En outre, Vitali Nalivkine n’est que le personnage principal de sketchs humoristiques à succès diffusés sur YouTube. D’ailleurs – que ceux qui espéraient une chute plus grandiose nous pardonnent –, le colis suspect s’avérera rempli d’inoffensives carottes.
Cela n’a pas évité quelques ennuis à une figurante du même sketch. La comédienne Larisa Krivonosova, qui y joue une porte-parole de la police, a été condamnée le 23 septembre à dix jours de prison. Son crime : avoir porté indûment un uniforme officiel, pratique à laquelle se livrent pourtant, quotidiennement, des dizaines de productions russes. Larisa Krivonosova, visage fatigué, dents incertaines et diction typique de ceux qui abusent de la boisson, aurait-elle heurté la susceptibilité de la célèbre Irina Volk, porte-parole du ministère de l’intérieur au brushing impeccable, dont elle va jusqu’à copier le nom ? Ou bien est-ce le show de Vitali Nalivkine, l’un des derniers à faire de l’humour politique en Russie, qui est visé ?
L’actrice Larisa Krivonosova, incarnant ici Marina Wulf, et la porte-parole du ministère de l’intérieur, Irina Volk. Les deux noms évoquent le « loup ». D.R.
En seulement deux ans, la chaîne YouTube BARAKuda est devenue en Russie un phénomène de société, avec des millions de fidèles. Ses sketchs moquent le ton des journaux télévisés des chaînes régionales, entièrement dévoués à la gloire des fonctionnaires et des élus locaux. Ici, le héros s’appelle donc Vitali Nalivkine, « président du comité exécutif du district d’Oussouriïsk », plus vrai que nature avec ses costumes impeccables et son nez écrasé à côté duquel celui de Gérard Depardieu évoque la perfection d’une statue antique.
Sketch après sketch, le schéma est le même : Nalivkine apporte des réponses expéditives et populistes, et surtout absurdes, à des problèmes parfaitement réalistes, ceux que connaissent des millions de Russes. L’eau d’un quartier est marron ? Le fonctionnaire fait couper les robinets. Le lac est pollué ? Il le « désinfecte » à l’eau de Javel. Les poubelles débordent ? Nalivkine fait enlever les conteneurs, transférant la « responsabilité pénale » sur ceux qui osent abandonner leurs déchets en pleine rue.
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