Une délégation sénatoriale française se rend à Taïwan du 5 au 11 octobre pour y rencontrer plusieurs ministres et la présidente Tsai Ing-wen. Cette visite, critiquée par Pékin, intervient dans un contexte de fortes tensions après une série d’intrusions record d’avions militaires chinois dans le ciel de Taïwan.
Ils veulent réaffirmer les liens qui unissent la France et Taïwan. Une délégation de quatre sénateurs, membres du groupe d’amitié France-Taïwan, est arrivée, mardi 5 octobre, sur l’île de 23 millions d’habitants, au grand dam de Pékin, qui a déjà menacé la France de « représailles ».
Emmenés par le sénateur LREM Alain Richard, ancien ministre de la Défense sous Lionel Jospin, les sénateurs doivent notamment rencontrer Tsai Ing-wen, la présidente de Taïwan, mais ils ne participeront pas aux cérémonies marquant la fête nationale de l’île.
Interrogé par le journal Le Monde, Alain Richard indique que ce déplacement s’effectue « en concertation étroite avec le Quai d’Orsay » mais ne précise pas s’il est porteur d’un message du gouvernement français.
Initialement prévue en mars, cette visite irrite profondément les autorités chinoises et avait déjà donné lieu à une violente passe d’armes entre les sénateurs français et l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye.
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Alain Richard avait alors rappelé que « cette visite n’avait pas de caractère contradictoire avec la reconnaissance de Pékin par la France » et que « de multiples pays démocratiques ont le même type de relations avec Taïwan ».
Évincée des Nation unies en 1971 au profit de la République populaire de Chine, Taïwan n’est actuellement reconnue que par 15 États à travers le monde. Si la France n’a pas de relations diplomatiques formelles avec l’île, elle soutient discrètement Taïwan et lui a notamment vendu des armes par le passé.
« Pour la France, Taïwan reste un partenaire important au niveau économique, commercial et culturel, et a aussi bénéficié de partenariat stratégique, en particulier avec l’achat des frégates Lafayette en 1991 », rappelle à France 24 Barthélémy Courmont, chercheur associé à l’IRIS et rédacteur en chef de la revue trimestrielle « Monde chinois, nouvelle Asie ».
« Diplomatiquement, la France ne reconnaît qu’une seule Chine mais, d’une manière pratique, et c’est un secret de polichinelle, il y a toujours eu des relations entre les deux Chines et Paris », confirme Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut Catholique de Paris et co-auteur de « La Chine face au monde » (Capit Muscas), joint par France 24. « Si ce genre de visite n’est pas nouvelle, ce qui change c’est la vive réaction des autorités. »
La diplomatie chinoise apparaît en effet de plus en plus décomplexée, voire agressive, en particulier sur le dossier de Taïwan. « Désormais, toute forme de soutien est pointée du doigt », assure Barthélémy Courmont.
Nouvelle radicalité chinoise
Ce déplacement sénatorial intervient également dans un moment d’extrême tension entre Pékin et Taipei, considéré comme une province rebelle par la Chine. En seulement quatre jours, 148 avions militaires chinois ont traversé l’espace aérien taïwanais.
Première démonstration de force vendredi, jour anniversaire de la Chine communiste : 39 avions dont plusieurs bombardiers H-6 à capacité nucléaire ont violé la zone d’identification aérienne de l’île. Lundi, un nouveau record a été battu avec une intrusion de 56 appareils.
Selon le ministère de la Défense de l’île, la Chine a procédé à plus de 500 incursions de ce type durant les neuf premiers mois de l’année, bien plus qu’en 2020.
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Des provocations militaires d’une ampleur inédite qui traduisent une position de plus en plus belliqueuse de Pékin dans la zone indo-pacifique.
« Ces événements sont liés notamment à la détérioration des relations avec les États-Unis et leurs alliés, l’Australie en particulier. Cela provoque une nouvelle radicalité des autorités chinoises », analyse Emmanuel Lincot.
Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, s’est dit « très préoccupé par l’activité militaire provocatrice de la République populaire de Chine à côté de Taïwan » et a rappelé que « l’engagement américain à l’égard de Taïwan est solide comme un roc ».
Diplomatie parallèle
Face à cette nouvelle donne géopolitique, Taïwan, portée par une gestion du Covid-19 jugée exemplaire, s’active en coulisses pour sortir de son isolement.
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En septembre, l’île, qui compte parmi les régions les plus riches de Chine, s’est ainsi positionnée pour adhérer à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, un traité de libre-échange qui réunit notamment le Japon, le Canada ou encore l’Australie. Une demande d’adhésion effectuée quelques jours seulement après celle de Pékin.
« En portant cette candidature concurrente, les dirigeants de l’île espèrent que dans ce contexte nouveau, plus de pays ou d’entités seront prêts à venir à leurs secours », explique Jean-François Di Meglio, président d’Asia Center, sur l’antenne de France 24.
Depuis plusieurs mois, Taïwan marque en tout cas des points sur la scène internationale. Les visites de délégations étrangères y sont plus nombreuses. La Lituanie a décidé d’ouvrir un bureau de représentation de Taïwan. La France en a ouvert un deuxième à Aix-en-Provence. Le président du Sénat tchèque, Milos Vystrcil, avait également fait le déplacement en septembre 2020, déclarant au passage : « Je suis un Taïwanais ».
« Ces visites ont pris un peu plus d’importance, compte tenu des tensions avec Pékin. Cela a pour effet d’entraîner plus de soutien et de communication autour de Taïwan », affirme Barthélémy Courmont.
« Il y a clairement un regain d’intérêt de la part des pays occidentaux. L’Occident, États-unis en tête, tient de plus en plus considération les velléités de Taiwan d’être reconnue comme une puissance souveraine à part entière », explique Emmanuel Lincot. « Au-delà du contexte d’opposition entre la Chine et les États Unis, il y a une empathie pour Taïwan étant donné ses valeurs démocratiques qui sont aussi les nôtres. »
« Il y a une zone grise dans laquelle un certain nombre de pays occidentaux vont essayer de travailler pour un rapprochement avec Taïwan qui apparaît aujourd’hui indispensable », abonde Jean-François Di Meglio.
Mais ce rapprochement devra se faire dans les limites de la position si particulière de Taïwan dans les institutions internationales. Il pourrait notamment passer dans un premier temps par une participation de l’île à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques ou encore Interpol.
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