Depuis l’assassinat en juillet du journaliste d’investigation Peter R. de Vries à Amsterdam, les autorités néerlandaises ont placé sous protection policière le Premier ministre démissionnaire, Mark Rutte, mais aussi de nombreux magistrats, avocats, journalistes et fonctionnaires. Tous sont potentiellement menacés par la « Mocro Maffia », une organisation criminelle liée au trafic de cocaïne qui intimide les Pays-Bas. Explications.
Mark Rutte ne se promène plus à vélo sans escorte policière dans les rues de La Haye. C’est ce qu’a révélé, lundi 27 septembre, le quotidien De Telegraaf, rapportant que les services de sécurité royal et diplomatique néerlandais ont mis en place des mesures de sécurité rapprochée pour protéger le Premier ministre démissionnaire, qui aurait été « filé » par des individus liés à l’organisation mafieuse « Mocro Maffia ».
En 2014, la publication d’un roman intitulé « Mocro Maffia » a fait connaître auprès du grand public cette mafia implantée aux Pays-Bas et en Belgique et qui contrôlerait un tiers du trafic de cocaïne en Europe. Son auteur, le Néerlandais Marijn Schrijver, raconte comment une bande de Marocains braqueurs de bijouteries d’Amsterdam a monté l’une des plus puissantes organisations criminelles d’Europe.
Le livre (non traduit en français) a connu un grand succès aux Pays-Bas et a été décliné en une série diffusée en France sur Canal+. La violence de cet acteur majeur du narcotrafic entre l’Europe et l’Amérique du Sud, longtemps cantonnée au milieu du grand banditisme, inquiète désormais au plus haut point les Pays-Bas.
Menaces et assassinats
L’assassinat du journaliste d’investigation Peter R. de Vries, très connu aux Pays-Bas depuis une vingtaine d’année, a fait l’effet d’une bombe. Le chroniqueur et présentateur de télévision de 64 ans est mort de ses blessures par balles le 15 juillet à l’hôpital, dix jours après avoir été attaqué en plein centre-ville d’Amsterdam. Selon les médias néerlandais, le tueur présumé n’est autre qu’un proche de Ridouan Taghi, le chef présumé de la Mocro Maffia, actuellement incarcéré.
Ce meurtre fait suite à celui, en septembre 2019, d’un avocat, Derk Wiersum, dont l’un des clients, Nabil B., est un truand repenti ayant accepté de témoigner devant la justice dans l’enquête contre l’organisation criminelle et son chef. En juin 2018 déjà, deux attaques (l’une au lance-roquettes et l’autre à la voiture bélier) avaient été commises contre deux médias néerlandais, Panorama et De Telegraaf, qui avaient publié des enquêtes mentionnant nommément les chefs de la Mocro Maffia.
Du cannabis à la cocaïne
Apparue dans les années 1990, cette organisation regroupe des dizaines de filières de distribution de cocaïne et de drogues de synthèse et tire son nom de « mocro », un terme péjoratif qui désigne les Marocains résidant en Belgique et aux Pays-Bas ou les Maroco-Néerlandais. La devise du réseau est « Wie praat, die gaat », qui signifie « Celui qui parle mourra ». Après avoir débuté dans le trafic de haschisch depuis le Maroc, les trafiquants deviennent un acteur incontournable du transport et de la vente de cocaïne aux Pays-Bas puis en Belgique dans les années 2010.
« Ils ont démarré leur activité dans les années 1990 avec la résine de cannabis. Ils connaissaient les vendeurs dans la région du Rif, ont développé des compétences de contrebande. Puis certains se sont diversifiés dans le business de la cocaïne, qui est nettement plus rentable. Ils ont su développer des contacts directement avec des zones de production et s’imposer comme des acteurs majeurs du trafic de cocaïne qui était jusqu’alors, globalement, le monopole des mafias italiennes, notamment la ‘Ndrangheta », explique David Weinberger, codirecteur de l’Observatoire des criminalités internationales à l’Iris.
En parvenant à tisser des liens directs avec les narcotrafiquants colombiens et mexicains, ils font entrer des cargaisons de cocaïne dans les ports d’Anvers et de Rotterdam. Dans ces deux ports, les saisies se multiplient et, pour l’agence européenne de police Europol, il est désormais établi que la Belgique et les Pays-Bas sont devenus les principales plaques tournantes du trafic de cocaïne à destination de l’Europe.
« Il y a eu récemment des saisies de plusieurs dizaines de tonnes de cocaïne, ce qui est énorme. Pour donner un ordre d’idée, la consommation annuelle de cocaïne sur le marché français en 2010 (les dernières données disponibles) est estimé à 15 tonnes », explique le chercheur.
Un capo terrifiant
Selon les investigations des journalistes néerlandais, un homme s’impose à la tête de cet empire de la cocaïne entre 2015 et 2017. Il s’agit de Ridouan Taghi, fils d’émigrés marocains aux méthodes ultraviolentes, qui devient peu à peu l’ennemi public numéro un aux Pays-Bas.
L’homme est arrêté à Dubaï en 2019, accusé d’avoir commandité l’assassinat de neuf personnes. Son procès commence à Amsterdam en mars 2021 dans des conditions difficiles. Âgé de 43 ans, le trafiquant est incarcéré dans une prison de haute sécurité. Nombre de témoins réclament l’anonymat au moment de se présenter devant le tribunal, craignant les représailles de la Mocro Maffia.
Ridouan Taghi aux Émirats arabes unis, peu avant son extradition. © Politie.nl
À la tête d’une fortune de plus de 100 millions d’euros, Ridouan Taghi est soupçonné d’être en lien direct avec des cartels colombiens. Son bras droit présumé, Saïd Razzouki, a d’ailleurs été arrêté à Medellin en février 2020.
Pour Frédéric Van Leeuw, le procureur fédéral de Belgique, « après la paix signée en Colombie, en 2016, les groupes criminels européens ont raccourci leur chaîne d’approvisionnement ». La ’Ndrangheta calabraise ou la Mocro Maffia sont ainsi devenues des « acteurs à part entière du trafic de cocaïne ». Dans un entretien avec le quotidien Le Monde, Frédéric Van Leeuw affirme que « la violence ouverte des mafias se rapproche du terrorisme. L’objectif est de faire peur. Seule la politique de la peur permet d’obtenir les collaborations nécessaires. »
Envoyer des messages forts aux autorités judiciaires et policières
Avec la mise sous protection rapprochée du Premier ministre, la Mocro Maffia a remporté une manche dans ses tentatives d’intimidation répétées des journalistes et des autorités néerlandaises. Pour David Weinberger, « ce qui est certain, c’est que les modes opératoires qui sont observés suggèrent qu’en Europe de l’Ouest, des groupes criminels qui sont impliqués dans le trafic de cocaïne utilisent des méthodes similaires à celles que l’on voit au Mexique. C’est-à-dire une imposition de la terreur en envoyant des messages forts qui sont perçus par les autorités publiques comme un risque quand elles traitent d’affaires de ce type. L’Italie a connu ça avec les assassinats de procureurs antimafia. »
Rien ne permet de démontrer que cette stratégie de la violence et de l’intimidation soit dirigée, depuis sa cellule, par Ridouan Taghi, le chef de la Mocro Maffia. Cependant, il ne serait pas impensable que ce redoutable capo mafieux tente d’intimider ainsi tous ceux qui sont appelés à témoigner à son procès, qui doit durer jusqu’en 2022.
Le tribunal, qui devait entendre le journaliste Peter R. de Vries avant qu’il ne soit assassiné, doit justement faire toute la lumière sur l’implication de Ridouan Taghi dans l’assassinat de l’avocat Derk Wiersum.
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