Les verts de Die Grünen et les libéraux allemands du FDP doivent se rencontrer, à partir de lundi 27 septembre, pour tenter de trouver un terrain d’entente avant de négocier avec la CDU et la SPD afin de savoir qui ils choisiront comme prochain chancelier. Jamais le rôle de faiseur de roi n’aura été aussi important en Allemagne… quitte à fragiliser le chancelier.
Qui vont-ils couronner ? Les Verts et les libéraux du FDP sont attendus au tournant en Allemagne après le résultat très serré des élections générales de dimanche 26 septembre.
Les deux prétendants au poste de chancelier – Olaf Scholz pour les sociaux-démocrates du SPD et Armin Laschet, pour la CDU, le parti d’Angela Merkel – ne sont déjà plus les stars politiques du moment, 24 heures après l’annonce des premiers résultats. Tout repose, dorénavant, entre les mains de Christian Lindner, le patron du FDP, et du duo formé par Robert Habeck et Annalena Baerbock, les dirigeants de Die Grünen.
Les us et coutumes aux oubliettes
Ils savent qu’aucun des deux grands partis ne pourra former de gouvernement sans eux. C’est pourquoi, « pour la première fois dans l’histoire politique allemande, les deux petits partis vont se rencontrer lundi 27 septembre, avant même de commencer les négociations avec la CDU et le SPD », souligne Klaus Schubert, politologue à l’Institut de recherches politiques de l’université de Münster, contacté par France 24.
Une initiative qui a de quoi mettre le petit microcosme politique outre-Rhin en émoi. « C’est une rupture avec les traditions selon lesquelles le parti en tête à l’issue du scrutin [le SPD en l’occurrence, NDLR] fixe l’agenda des négociations. Et on sait à quel point les Allemands sont généralement attachés aux conventions », note Klaus Schubert.
Ce bouleversement des us et coutumes montre à quel point la situation est inédite outre-Rhin. « C’est très malin de leur part car si les Verts et le FDP arrivent à s’entendre, ils seront dans une position de force pour négocier avec le SPD et la CDU en imposant leur propre agenda des revendications », résume le politologue de l’université de Münster. Ce serait aussi une première en Allemagne, tant le parti arrivé en tête impose d’habitude la plupart de ses priorités.
Mais encore faut-il que les Verts et le FDP se mettent d’accord. Et ce n’est pas gagné. Le FDP a déjà refusé, en 2017, de participer à une coalition avec la CDU et les Verts, car les libéraux jugeaient leur agenda incompatible avec les priorités des écologistes. Christian Lindner a passé son temps, durant la campagne pour les élections de 2021, à suggérer que les Verts détruiraient le dynamisme économique allemand au nom de la lutte contre le réchauffement climatique s’ils parvenaient au pouvoir.
Difficiles compromis
Un passif qui ne va pas empêcher les deux de s’entendre, assure Sudha David-Wilp, directrice du bureau berlinois du cercle de réflexion du German Marshall Fund, contactée par France 24. « Christian Lindner ne pourra pas se permettre de faire la fine bouche une deuxième fois après [son refus en] 2017, c’est sa dernière chance. Quant aux Verts, ils jugent que l’urgence climatique ne leur laisse pas d’autre choix que de participer à un gouvernement pour essayer d’agir », résume cette politologue.
Mais sur quoi s’entendre ? « Tous les deux peuvent se revendiquer comme les partis de la jeune génération [les Verts et le FDP sont les deux formations les plus populaires parmi les moins de 30 ans, NDLR] et ils vont chercher à jouer là-dessus en mettant en avant des thèmes comme la modernisation de la société, à travers la dématérialisation de l’État ou encore grâce à des réformes socioculturelles telles que le renforcement de l’égalité des genres », note Hans Vorländer, politologue à l’université de Dresden, contacté par France 24.
Ils vont aussi tenter de slalomer entre les lignes rouges des uns et des autres. Ce qui ne va pas être facile : le FDP ne veut absolument pas entendre parler de hausse d’impôts et a promis de réduire les taxes pour les plus riches, alors que les Verts veulent financer des baisses d’impôts pour les classes moyennes grâce à une pression fiscale plus forte sur les grandes fortunes.
En outre, les écologistes exigent que l’État investisse massivement pour rendre l’économie plus verte, alors que les libéraux sont des apôtres de la maîtrise des dépenses.
Des points de vue irréconciliables ? Pas si vite. Les deux partis ont déjà commencé à évoquer des pistes pour rendre tout le monde au FDP et chez les Grünen heureux. « L’une des idées serait d’instaurer une sorte de budget exceptionnel pour lutter contre le réchauffement climatique et dont les dépenses ne seraient pas prises en compte pour évaluer le niveau du déficit de l’Allemagne », note Hans Voländer.
Et puis, même si ce n’est pas la priorité de ce premier round de négociation, il y a toujours moyen de commencer à évoquer des répartitions de ministères pour faire passer d’autres pilules. « Christian Lindner [chef du FDP] a suffisamment crié sur tous les toits qu’il voulait devenir ministre des Finances », rappelle Sudha David-Wilp, du German Marshall Fund.
Robert Habeck convoite aussi ce siège, mais peut-être qu’en échange d’un peu de souplesse sur la question des impôts, les Verts se contenteront du ministère des Affaires étrangères…
Avec Laschet ou Scholz ?
Encore faut-il que la CDU ou le SPD accepte ce que les deux « petits » partis vont négocier entre eux. Le FDP et les Verts ont, a priori, plus de chances avec Armin Laschet. Le candidat de la CDU « joue sa survie politique sur sa capacité à former un gouvernement et devenir chancelier. Il sera prêt à davantage de concessions qu’Olaf Scholz », estime Klaus Schubert, de l’université de Münster.
De ce fait, d’un pur point de vue tactique, le FDP et les Verts auraient intérêt à s’allier avec Armin Laschet, car ils seraient sûrs d’être en position de force au gouvernement. Pour les libéraux, ce pourrait être un calcul gagnant-gagnant : si tout se passe bien, le parti en profitera, et si « le gouvernement échoue, le FDP pourra blâmer la CDU et continuer à siphonner les voix de la droite », analyse Klaus Schubert.
Mais ce serait particulièrement cynique comme approche, ajoute le politologue. Surtout, cela signifierait « de faire alliance avec quelqu’un qui apparaît tout de même comme le grand perdant de cette élection », rappelle Hans Vorländer. Ce ne serait pas du meilleur effet pour l’image des partis de participer à une telle coalition, et l’Allemagne aurait un chancelier faible à sa tête à « un moment où l’Europe a besoin d’un gouvernement allemand fort pour aider à dessiner une Europe plus forte face aux États-Unis, à la Chine ou encore à la Russie », note Hans Vorländer.
De ce fait, Olaf Scholz apparaît comme le candidat le plus susceptible de convaincre les Verts et le FDP de former une coalition gouvernementale avec lui. Mais il est « évident qu’il y aura des turbulences au départ pour définir la place et l’importance de chacun dans un tel attelage », estime Sudha David-Wilp.
De l’avis de tous, les différents partis allemands vont tout faire pour trouver un compromis avant les fêtes de fin d’année. Ne serait-ce que pour enfin pouvoir tourner la page Angela Merkel. Autrement, elle serait contrainte de prononcer son 17e discours politique de fin d’année en tant que chancelière.
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