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Brahim Bouhlel, « bouc émissaire » de la lutte contre le tourisme sexuel au Maroc

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Les acteurs Brahim Bouhlel (à gauche) et Saidou Camara, à Cannes, en octobre 2020. VALERY HACHE / AFP

C’est l’histoire d’une blague si mauvaise qu’elle a mené ses auteurs en prison. Depuis cinq mois, l’acteur et humoriste français Brahim Bouhlel, connu pour avoir joué dans Validé, une série à succès sur le rap, est incarcéré à Marrakech après avoir été condamné à huit mois de prison pour « diffusion d’une vidéo d’une personne sans son consentement » et « détournement de mineur ».

A quelques semaines de la sortie de la saison 2 de Validé, le 11 octobre sur Canal+, l’affaire continue de faire débat au Maroc et en France. « La peine de prison pour une blague, aussi mauvaise soit-elle, représente une menace profondément effrayante pour l’exercice de la liberté d’expression de tous », dénonce Andra Matei, l’avocate de l’humoriste, qui prévoit de déposer une demande de grâce royale en octobre.

L’affaire remonte au tout début du mois d’avril. L’acteur de 26 ans, originaire de Seine-et-Marne, est attablé à la terrasse d’un restaurant de Marrakech en compagnie de l’influenceur Sammy Tami, connu sous le pseudonyme de « Zbarbooking », et de l’acteur Hedi Bouchenafa. Brahim Bouhlel filme ses deux amis et les double d’une voix off.

« Moi ce que j’aime bien ici, c’est toutes les putes que je paye 100 dirhams ! », lance-t-il dans la vidéo pendant que son ami agite une liasse de billets. « J’ai niqué encore quinze meufs. Du coup, j’ai eu six gosses, poursuit-t-il en filmant deux garçons et une petite fille qui se trouvent à côté d’eux. Salut bande de fils de pute ! Votre mère c’est une grosse salope ! », dit-il en s’adressant aux enfants, qui ne semblent pas comprendre la situation.

« J’essayais d’être drôle »

Présentée comme une parodie de l’émission Enquête exclusive, la vidéo, d’abord diffusée sur un compte Snapchat, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux et provoqué un mouvement de colère au Maroc.

Face à la tempête médiatique, les acteurs ont présenté leurs excuses, expliquant que leur démarche était humoristique. « Ma volonté était justement de me moquer des gens qui véhiculent ces clichés », s’est justifié Brahim Bouhlel dans une vidéo postée le 5 avril sur Instagram. « J’essayais d’être drôle, mais je reconnais que je me suis totalement planté. J’aime profondément ce pays et ses habitants », a-t-il ajouté.

Placés en détention provisoire le lendemain, l’acteur de Validé et l’influenceur Sammy Tami ont été condamnés le 21 avril à respectivement huit mois et un an de prison ferme. Une décision confirmée en appel le 31 mai. Hedi Bouchenafa avait quant à lui quitté le territoire marocain avant l’ouverture de l’enquête. Depuis, la défense dénonce des conditions de détention déplorables, « à quinze dans une cellule de 30 m2 », et un jugement qui n’a pas pris en compte « le droit à la liberté d’expression ».

« Il s’agissait d’une ébauche de sketch non scénarisé et non planifié, que mes clients n’avaient pas l’intention de diffuser sur Internet. La vidéo a fuité, or cela n’a pas été pris en compte par le juge », plaide Me Matei, également directrice d’Avant-Garde Lawyers, une ONG qui défend la liberté d’expression des artistes. « Mes clients voulaient souligner l’aspect comique d’une réalité sociale autrement tragique et parfois dure à énoncer, comme le tourisme sexuel. Créer ce décalage, c’est tout le travail d’un humoriste », renchérit l’avocate.

Guerre contre l’omerta

Au Maroc, la blague est particulièrement mal passée. Jugée insultante et dégradante, la vidéo a soulevé l’indignation du Club des avocats du Maroc, qui a déposé une plainte, ainsi que des associations de protection de l’enfance. « Nous avons vivement condamné ces propos abjects et irrespectueux, qui ont blessé une frange faible et dans le besoin que sont ces enfants, et nous avons demandé aux autorités de prendre leurs responsabilités », souligne Najat Anwar, présidente de l’ONG Touche pas à mon enfant.

Depuis 2004, cette dernière mène une guerre contre l’omerta existant au Maroc sur le tourisme sexuel et la pédophilie, particulièrement développée à Marrakech, Tanger et Agadir. « Les touristes pédophiles continuent d’affluer dans ces villes et exploitent les enfants issus de familles très pauvres, car ils pensent qu’avec leurs euros, ils peuvent abuser impunément de nos enfants innocents, martèle la militante. Mais les choses ont commencé à changer. »

Ces dernières années, plusieurs scandales ont obligé les autorités à sévir sous la pression des habitants et des associations, qui dénoncent des condamnations trop clémentes et exhortent les pouvoirs publics à muscler la législation et à renforcer la lutte.

A l’été 2013, la grâce royale accordée par erreur à un pédophile espagnol, Daniel Galvan, avant d’être annulée par le palais, avait mobilisé des milliers de personnes dans des manifestations à Casablanca et Rabat. Cinq ans plus tard, l’interpellation à Fès d’un Français accusé d’avoir agressé sexuellement deux Marocaines de 10 et 13 ans avait elle aussi provoqué la colère des habitants, excédés par la propagation du tourisme sexuel au Maroc et l’impunité des étrangers.

« Immunité touristique »

« Il y a une prise de conscience graduelle de l’opinion publique et des autorités étatiques. Les familles aussi commencent à dénoncer ce pédotourisme et les autorités judiciaires sévissent, indique Najat Anwar. Avant les années 2000, les pédophiles étrangers jouissaient d’une sorte d’immunité touristique qui faisait de notre pays une de leurs destinations favorites. »

Mais la défense de Brahim Bouhlel et Sammy Tami continue de dénoncer un verdict disproportionné. « Brahim et Sammy sont les boucs émissaires d’un système qui cherche à les ériger en exemples à ne pas suivre aux yeux de ceux qui songeraient à les imiter », avertit Me Matei, rappelant que les deux hommes étaient « en bons termes » avec les enfants qui apparaissent sur la vidéo et « généreux avec eux en leur donnant de l’argent ».

La demande de grâce royale, en octobre, constituera la quatrième tentative dans cette affaire, après trois refus.

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