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Allemagne : isolée, divisée… l’extrême droite dans l’impasse ?

Quatre ans après avoir créé la surprise, le parti d’extrême droite allemand, l’AfD, est à la traîne dans les intentions de vote pour les élections générales prévues dimanche. En cause, des thèmes fétiches relégués au second plan et un isolement de la vie politique. Explications.

En 2017, son score avait provoqué un séisme politique en Allemagne. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite, à travers le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), faisait son retour au Parlement, devenant dans le même temps la troisième force politique du pays avec 12,6 % des voix et 94 sièges. 

À l’issue des élections générales, dimanche 26 septembre, l’AfD gardera vraisemblablement une représentation similaire au Bundestag. Mais aujourd’hui, la perspective de ce résultat n’émeut plus. « Comme beaucoup d’autres pays en Europe, l’Allemagne est devenue un pays avec des membres de l’extrême droite au Parlement », explique auprès de France 24 Markus Ziener, chercheur à la German Marshall Fund, un think tank américain consacré au renforcement des liens transatlantiques. « Jusqu’en 2017, cela n’existait pas. »

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Surtout, depuis 2017, le parti s’était donné pour ambition de gouverner l’Allemagne après l’ère Merkel. Or, l’objectif semble désormais impossible à atteindre, l’AfD n’étant crédité que de 11 à 13 % des intentions de vote dans les différents sondages pour le scrutin de dimanche. « Le parti n’a pas réussi à donner son tempo et à imposer son agenda dans la campagne », analyse Markus Ziener. 

« L’immigration n’est plus une question si importante »

« Ce qui lui manque, c’est qu’il ne peut plus s’appuyer sur le sujet qui l’a porté il y a quatre ans, l’immigration, car ce n’est plus une question si importante pour les électeurs », poursuit le spécialiste. 

À sa création en 2013, l’objectif initial de l’AfD était de militer contre l’euro comme monnaie unique, perçu comme une façon de forcer l’Allemagne à participer aux plans de sauvetage des pays de l’Union européenne en pleine crise économique. 

« Quand la crise grecque s’est finalement atténuée, l’AfD est sortie des radars. Ses principaux arguments ne tenaient plus », rappelle Markus Ziener. « Mais le mouvement a pris un nouveau souffle lorsque la crise migratoire est arrivée ». 

En 2015, Angela Merkel décide d’autoriser des milliers de personnes originaires de pays en guerre, notamment de Syrie, à se réfugier en Allemagne, lançant une vague de protestation dans le pays. L’AfD se positionne alors comme la figure de proue de la contestation. Deux ans plus tard, c’est sur cette vague qu’il parvient à rassembler un grand nombre d’électeurs et à atteindre le Parlement. 

Mais depuis, la chancelière a fait machine arrière, rendant de fait caduc les arguments anti-immigration de l’AfD, et reléguant au second plan la question migratoire. Selon un récent sondage du quotidien allemand Bild, seulement 20 % des votants considèrent désormais l’immigration comme une priorité, loin derrière les questions climatiques (35 %) ou les retraites (33 %).

Malgré tout, cela n’a pas empêché l’AfD d’agiter l’argument migratoire pendant l’ensemble de la campagne pour les élections générales. « Cologne, Cassel, Constance ne peuvent pas accueillir tout Kaboul », peut-on ainsi lire sur plusieurs posters électoraux. Réponse à la décision allemande de rapatrier plusieurs milliers d’Afghans ayant aidé Berlin et menacés depuis la prise de pouvoir par les Taliban en Afghanistan.

« Le problème, pour l’AfD, c’est que la majorité des Allemands pense que l’Allemagne peut et doit aider ces Afghans », réagit Hajo Funke, politologue à l’université libre de Berlin, qui voit par ailleurs ce désintérêt pour la question migratoire comme un signe de la réussite de la politique mise en place par Berlin. « Les réfugiés syriens, par exemple, sont bien mieux intégrés dans le pays que ce que l’extrême droite veut croire », continue-t-il. « Et la majorité des Allemands sont d’accord pour accueillir les Afghans qui ont aidé le pays. »

Le mouvement des « antivax »

Ne pouvant plus compter sur son thème fétiche, l’AfD s’est tourné vers une autre crise : le Covid-19. Au départ, le parti avait appelé à prendre des mesures drastiques pour lutter contre la pandémie avant de faire volte-face. Il refuse aujourd’hui de faire campagne pour le vaccin et dénonce régulièrement la « dictature sanitaire » imposée par le gouvernement Merkel.

« Ce n’est pas un pari gagnant », juge Markus Ziener. « La majorité des Allemands sont pour la vaccination et pensent que cela est indispensable pour venir à bout de la pandémie. »

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Et la pandémie a laissé apparaître de profondes divisions au sein du parti, entre une aile plus modérée favorable au vaccin et les partisans d’une ligne dure. Parmi ces derniers, plusieurs se réclament d’ailleurs de la mouvance autoproclamée des « Libres penseurs » (Querdenker), un mouvement radical, souvent adepte de théories conspirationnistes, qui manifestent régulièrement contre les restrictions sanitaires.

« Ils perçoivent l’Allemagne comme une dictature. Ils sont dangereux », juge Hajo Funke. 

Dans ce contexte, la mort, samedi 18 septembre, d’un jeune de 20 ans, employé d’une station-service, abattu par un client qui refusait de porter un masque, a provoqué un vif émoi dans le pays. Plusieurs voix se sont ainsi élevées, accusant l’AfD de cautionner les discours les plus radicaux et d’alimenter un climat de peur et de violences.

Un parti isolé 

En réalité, ces critiques ne datent pas de la pandémie. Depuis plusieurs années, l’extrême droite est pointée du doigt, jugée indirectement responsable de plusieurs crimes de haine, notamment en 2020, lorsque 11 personnes, majoritairement étrangères, ont été tuées dans la ville de Hanau par un activiste d’extrême droite.  

L’an dernier, le parti avait par ailleurs dû se séparer de son porte-parole, Christian Luth, après que celui-ci a affirmé que les migrants pouvaient être « tués ou gazés ». 

« Les soutiens à l’AfD ont baissé depuis les meurtres d’Hanau, note Hajo Funke. « Pour la première fois, on a vu émerger un consensus dans l’opinion publique et dans les partis politiques. Tout le monde s’est accordé pour reconnaître que les discours de haine peuvent mener à des actes de violence. »

Dans ce contexte, si le politologue s’inquiète de l’influence de l’AfD pour la sécurité du pays, il ne le considère pas comme une réelle menace sur le plan politique. « Le parti est totalement isolé des autres mouvements », explique-t-il. « Il est trop extrême. Trop proche d’idées néo-nazies. Il n’a aucune chance de rejoindre une coalition. »

« L’AfD est un parti que personne ne veut approcher. Il est perçu comme toxique, à juste titre », conclut de son côté Markus Ziener, écartant toute hypothèse d’une alliance entre les conservateurs du parti d’Angela Merkel et l’extrême droite. « Même si la CDU était désespérée, elle ne s’allierait pas à l’AfD. »

Adapté de l’anglais par Cyrielle Cabot. L’article original à lire ici.

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